Le Breitling Chronomat et les premières montres avec règle à calcul (partie 2 /3)
Les règles à calcul étaient connues de longue date (7). On les doit à deux mathématiciens anglais du XVIIe siècle, William Oughtred et Edmund Gunter qui se basèrent sur les logarithmes, inventés quelques années plus tôt par l'écossais John Neper, baron de Merchiston.
La plupart des calculs mécaniques peuvent être réalisés avec une bonne approximation avec les règles à calcul. Les horlogers suisses du début du XXe siècle les connaissaient bien, y compris les règles à calcul circulaires de dimension plus réduite donc plus facile à utiliser et à transporter. Ainsi un article de la Revue Internationale de l'Horlogerie de 1904 parle des avantages des "cercles à calcul" perfectionnés par un certain Paul Pouech et dont le modèle le plus abouti faisait 12 cm de diamètre et comportait six échelles concentriques (8).
Cercle à calcul du début du XXème siécle
Aussi bien la Mimo Loga que le Breitling Chronomat font références sur leurs cadrans à des brevets suisses : le n° 216202 pour Mimo et le n° 217012 pour Breitling (9). Dans l'ordre chronologique c'est le brevet de Mimo qui fut déposé le premier, à quelques semaines près : 27 juillet 1940 contre 26 août 1940.
La revendication principale du brevet Mimo est la suivante : "Pièce d'horlogerie, caractérisée en ce qu'elle comporte, en plus des dispositifs chronométriques et chronographiques habituels, au moins deux échelles logarithmiques conjuguées dont l'une au moins est montée sur un organe rotatif concentrique au cadran qui porte l'autre".
Il y a mention dans cette revendication d'un dispositif chronographique et le schéma qui accompagne le brevet est bien celui d'un chronographe. Le principe du Breitling Chronomat semble donc avoir été breveté d'abord par Mimo. Les sous-revendications du brevet Mimo portent sur la lunette tournante, sur un éventuel dispositif de commande par couronne pour faire tourner l'une des échelles et sur une loupe grossissante annulaire en périphérie du verre pour faciliter la lecture.

Le brevet auquel fait référence Breitling est en fait celui d'un certain Adrien Schweizer de La Chaux-de-Fonds. La revendication principale est la suivante : "Pièce d'horlogerie permettant d'effectuer des opérations tachymétriques et télémétriques, caractérisée par deux échelles graduées logarithmiquement, adjacentes l'une à l'autre et concentriques, l'une au moins de ces échelles étant mobile et portée par un anneau pouvant tourner autour de l'autre échelle, ces deux échelles étant identiques en grandeur mais progressant en sens inverse l'une de l'autre, le tout de façon que l'on peut placer un point déterminé de l'une de ces échelles en regard d'un point quelconque de l'autre dans le but que, connaissant deux des trois valeurs vitesse, temps et chemin parcouru, on puisse, en plaçant les deux échelles dans une position relative déterminée par les deux valeurs connues, lire la troisième valeur sur l'une des échelles".
Les sous revendication portent essentiellement sur la lunette mobile portant l'une des règles et sur différents repères fixes ou index gravés sur l'une des échelles pour faciliter les calculs.
Le brevet Breitling porte donc lui aussi sur les échelles logarithmiques concentriques et insiste sur le fait que l'une des échelles est inversée par rapport à l'autre.

L'examen du cadran du Chronomat montre en effet que l'échelle intérieure court dans le sens horaire alors que l'extérieure court dans le sens anti-horaire. Une telle disposition, déjà connue pour les règles à calculs linéaires ou circulaires, a l'avantage de faciliter certains calculs, en particulier les multiplications et divisions multiples ou combinées. Le Chronomat présente également les index (H, Minutes, S,1/5) décrits dans le brevet Schweizer.
le cadran du premier Chronomat montrant la règle inversée et les index décrits dans le brevet Schweizer
On peut néanmoins se poser la question suivante : Mimo et Breitling ont-ils été les premiers à avoir eu l'idée d'adapter une règle à calcul circulaire sur une montre? Une analyse plus approfondie des brevets suisses des années 1930 va révéler quelques surprises.
On découvre en effet que le 4 juin 1936, soit 4 ans avant le brevet Mimo, Oiser Szymanski, directeur de la Homis Watch Co. à Bienne a déposé un brevet nº 189447 dont la revendication principale est la suivante : "Montre, plus particulièrement mais non exclusivement une montre de poche, caractérisée en ce qu'elle comporte un dispositif calculateur, deux éléments de forme circulaire portant des graduations logarithmiques et dont l'un est fixe et l'autres rotatif, un organe mobile à repère étant disposé concentriquement aux dits éléments gradués, de manière qu'on puisse amener le repère à une position angulaire quelconque relativement aux éléments gradués".
On sait peu de chose de la Homis Watch Co. si ce n'est qu'elle était active entre 1920 et 1970 et qu'elle produisait des montres milieu de gamme, probablement sur base Ebauches SA (10).
Le brevet Szymanski en tout cas décrit bien l'association d'une règle à calcul circulaire et d'une montre, que celle-ci soit une montre de poche ou une montre bracelet. Il ne décrit pas explicitement le principe de la lunette mobile mais un autre brevet nº 204559, déposé par Walter Moser à Berne le 25 avril 1938, soit 2 ans avant le brevet Mimo, décrit parfaitement, sur une montre bracelet, une lunette mobile portant l'une des deux échelles logarithmiques.
L'idée d'une montre équipée d'une règle à calcul circulaire existait donc bien avant la Mimo Loga et son application au chronographe existait avant le Breitling Chronomat. On peut néanmoins reconnaître à Breitling l'originalité de l'échelle logarithmique inverse du Chronomat.
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Annotations :
(7) Pour l'histoire des règles à calcul et des informations concernant leur utilisation, voir en particulier www.chronomath.irem.univ-mrs.fr et www.sliderules.clara.net
(8) Revue Internationale de l'Horlogerie et des Branches Annexes, 1904, p.276 et suivante
(9) Les tout premiers Chronomat de 1941 font référence sur leur cadran à un numéro 59217. Il s'agit sans doute d'un numéro de demande de brevet et non d'enregistrement car le brevet suisse 59217, qui date de 1911, ne concerne pas l'horlogerie.
(10) Kathleen Pritchard, Swiss Timepiece Makers, Editions Phoenix, 1997, vol.2, p.S. 57
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