Chronographes sans compteur et montres Stop



Chronographes sans compteur et montres Stop
(partie 2 /3)

2. Les chronographes sans compteur sur base Ebauches SA

Ebauches SA à joué un rôle central dans l'horlogerie suisse du 20ème siècle. Son histoire mérite qu'on s'y attarde car elle montre comment les structures officielles d'une nation peuvent se mobiliser autour d'une industrie jugée d'intérêt national.

En 1921 l'horlogerie suisse est, une fois de plus, en crise. Alors qu'on s'attendait à une forte demande après la première guerre mondiale et que de nombreuses entreprises avaient investi pour augmenter leur capacité de production, le marché s'effondre et les prix avec. Resurgit alors ce qui était considéré à l'époque comme un fléau : le chablonnage. Le chablonnage consiste à vendre des mouvements en pièces détachées à l'étranger où ils sont remontés pour fabriquer des montres complètes qui, en retour, font une concurrence jugée déloyale à la montre suisse.
Pour maîtriser la fluctuation des prix et lutter contre le chablonnage on décide alors de réunir l'ensemble des fabricants pour tenter d'imposer des règles communes.
Mais il y a des dizaines de fabricants de mouvement, la plupart fabriquant également la montre complète, et des centaines de sociétés annexes fournissant les ancres, les balanciers, les aiguilles etc.

Ebauches SA nait le 27 décembre 1926 à Neuchâtel du regroupement de trois gros fabricants d'ébauches : A. Schild SA, la Fabrique d'Horlogerie de Fontainemelon et Michel SA. À elle trois ces sociétés produisent alors plus de 50 % des ébauches suisses. La force d'Ebauches SA c'est que c'est une société privée et qu'avec l'aide des banques elle est très riche.
Dans le domaine du chronographe par exemple, dès 1927 elle rachète Charles Hahn (Landeron) et l'année d'après Vénus.
En 1928 est signée la "convention chablonnage" qui fixe les règles pour chaque exportateur et chaque pays. Mais les fabricants qui n'ont pas intégré Ebauches SA ne jouent pas le jeu et continuent à exporter librement alors qu'une nouvelle crise des ventes survient en 1930.
La solution paraît claire : il faut poursuivre la concentration des ébauches en rachetant toutes les sociétés concernées. Pour cela on crée en 1931 une super holding, l'ASUAG, qui a pour mission de concentrer les Ebauches et l'ensemble des fournitures. L'ASUAG a besoin de beaucoup d'argent pour réussir son entreprise, plus que ce que ne peuvent avancer les banques. Mais la situation en 1931 est dramatique avec 20 000 horlogers au chômage et c'est la Confédération elle-même qui viendra apporter sa contribution en entrant dans le capital de l'ASUAG et en accordant un prêt sans intérêt de 7,5 millions de francs suisses.




De nombreux chronographes sans compteur de la fin des années 1930 comportent des mouvements anonymes probablement remaniés à partir d'une base Ebauches SA

Ebauches SA reprend alors ses rachats : citons par exemple en 1932 A. Raymond SA avec sa fabrique d'ébauches Unitas, Eterna avec ses ébauches ETA et en 1944 dans le domaine du chronographe, Valjoux SA.
La situation est désormais maîtrisée, favorisée par la dévaluation du franc suisse en 1936 et une reprise économique que la deuxième guerre mondiale n'infléchira pas.

Dans les années 1930 il y a donc deux fabricants de calibres chronographe au sein d'Ebauches SA : Landeron et Vénus. Ces deux entreprises vont jouer un rôle clé dans l'engouement pour le chronographe en fournissant aux établisseurs, les fabricants de montres qui ne produisent pas leurs ébauches, des mouvements fiables à prix mesurés et facilement réparables grâce à l'importante structure de service après-vente mise en place par Ebauches SA. Et c'est dans ce contexte, pour fournir des mouvements encore meilleurs marchés, qu'Ebauches SA proposa des calibres chronographe sans compteur.

Les premiers apparurent en 1935 et ils étaient signés Breitling.
Breitling est une des grandes Maisons du chronographe suisse. La société a été créée par Léon Breitling en 1884 à St Imier et à déménagé à la Chaux-de-Fonds en 1892 pour s'installer Rue Montbrillant ce qui vaudra également à la société le nom de Montbrillant Watch Manufactory.
Breitling est un spécialiste du chronographe. On lui doit par exemple les premiers chronographes bracelet avec poussoir à 2h en 1915 où les premiers double poussoirs en 1933. Mais Breitling n'est pas une manufacture et les mouvements sont fournis par Ebauches SA avec lequel l'entreprise travaille en étroite collaboration. Ce sont sans doute ces liens privilégiés qui expliquent que le mouvement Vénus de 12 lignes sans compteur, de 1935, soit d'abord réservé à Breitling qui l'utilisera pour son modèle 711 dont il existe plusieurs variantes, la plus caractéristique étant le 711 Aviation à lunette tournante indexée et au poussoir surdimensionné.




1936

La même année Landeron proposera son propre calibre chronographe sans compteur de 12,75 lignes et à partir de 1937 Vénus enrichira sa gamme avec des calibres de 10,5 et 11,5 lignes. Ces mouvements seront utilisés par des entreprises comme Astin, Eloga et bien d'autres.




Chronographe sans compteur, fin des années 1930, calibre Vénus de 12 lignes




Chronographe sans compteur, fin des années 1930, calibre Landeron de 12,75 lignes




Chronographe Genes Watch, fin des années 1930, calibre Landeron de 12,75 lignes




Chronographe Harman, fin des années 1930, calibre Vénus 196 de 11,5 lignes

Pour la commande de l'aiguille centrale ces mouvements disposent d'une roue à colonne. Cela permet d'ailleurs de différencier dès le premier coup d'oeil les chronographes sans compteur, dont l'aiguille centrale peut rester arrêtée à zéro, de certaines montres Stop dont l'aiguille reprend sa course dès qu'on cesse d'appuyer sur le poussoir.
Ils n'ont d'autre part qu'un seul poussoir et de ce fait, après arrêt de l'aiguille on ne peut pas reprendre le chronométrage, comme avec un chronographe deux poussoirs, puisque la pression suivante remet l'aiguille à zéro.

Il y a pourtant une exception à cette règle sous la forme d'une montre surprenante apparue en 1938 : le chronographe Car-Chevassus qui n'a pas de roue à colonne et permet la reprise du chronométrage !

Il a été développé par le Français Henri Chevassus qui l'a breveté dès 1935, et c'est Landeron qui a fabriqué le mouvement après l'avoir amélioré en 1938. En fait ce chronographe n'est pas muni d'un poussoir mais d'une targette, ou verrou, qui peut prendre trois propositions : un premier déplacement vers le bas déclenche l'aiguille centrale des secondes, un léger retour vers le haut stoppe l'aiguille et on peut alors soit poursuivre vers le haut, l'aiguille est alors remise à zéro, soit reprendre vers le bas et l'aiguille reprend sa course.
Ce petit chronographe a d'autre part une autre particularité, également brevetée par Henri Chevassus : il est muni d'une lunette tournante dont les graduations sont situées sous le verre. C'est probablement la première montre-bracelet à posséder ce dispositif.




Chronographe sans compteur Car-Chevassus de 1938. Calibre sans roue à colonne mais permettant la reprise du chronométrage

La profusion des calibres chronographe-compteur mis à la disposition des fabricants par Ebauches SA devient impressionnante dans les années 1940 et ce d'autant que Valjoux rejoint le trust en 1944.
Le chronographe sans compteur sera donc délaissé, et il faudra attendre la fin des années 1950 pour que deux fabricants s'y intéressent à nouveau avec des montres qui visaient une cible bien particulière : les médecins.

La première de ces montres est la Doxa Sfygmos sortie en 1958.
Doxa avait été créée en 1889 par Georges Ducommun-Droz au Locle et c'était un fabricant de chronographes très actif dans les années 1930-1940.
Le modèle Sfygmos n'a pas de compteur et un seul poussoir à 2h. En périphérie du cadran se trouve une échelle pulsométrique. Sur cette montre le zéro n'est pas à midi mais à 9h : cela permet d'avoir les valeurs les plus usuelles, entre 50 et 100, dans la partie haute du cadran, donc plus lisibles. Le verre est d'ailleurs muni d'une loupe circulaire grossissante en périphérie. Le mouvement est un calibre Valjoux 23 de 13 lignes, modifié pour supprimer la partie compteur de minutes et le deuxième poussoir.




1958




Doxa Sfygmos de 1958. Calibre Valjoux 23 modifié

Une montre similaire fut proposée peu après par Angélus.
Pendant longtemps Angélus avait été une manufacture qui produisait ses propres mouvements chronographe, à l'origine de modèles célèbres comme le Chronodato ou le Chrono-Datoluxe. Mais avec la désaffection du chronographe, Angélus avait cédé son droit d'ébauches à Ebauches SA.
C'est donc une base Valjoux 22 de 14 lignes, également modifiée, qui a été utilisée pour cette montre qui, à la différence du Doxa Sfygmos, comporte une petite trotteuse à neuf heures et deux échelles distinctes, une pulsométrique et une asthmométrique pour le décompte des respirations. Le verre est également muni d'une loupe grossissante qui occupe un quart de la périphérie, entre 12h et 3h.




Chronographe sans compteur pour médecin Angelus, c. 1960, calibre Valjoux 22 modifié




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