Chronographes sans compteur et montres Stop



Chronographes sans compteur et montres Stop
(partie 1 /3)

Les premiers chronographes, réalisés dans la deuxième moitié du 19ème siècle, ne comportaient qu'une seule aiguille, pour le décompte des secondes. On les appelle "chronographe simple" par opposition au "chronographe-compteur" disposant d'un compteur auxiliaire pour le décompte des minutes et permettant donc le chronométrage de temps plus longs.
L'avantage d'un compteur de minutes sur un chronographe est tel que le chronographe simple, ou chronographe sans compteur, a été rapidement supplanté et de ce fait n'a eu qu'une existence relativement brève.




Chronographe simple Ascot, fin du 19ème siècle.

Avec l'arrivée de la montre-bracelet il a pourtant connu un regain d'intérêt à partir de la fin des années 1930 et une variante a même été développée sous la forme des montres Stop où l'aiguille des secondes centrale peut être remise à zéro mais où les trois fonctions du chronographe, départ, arrêt, remise à zéro, sont incomplètes.
Relativement méconnues, ces montres ont pourtant un intérêt historique et technique certain. Leur étude permet de couvrir une bonne partie du 20ème siècle horloger suisse et de croiser la destinée de nombreuses sociétés qui en ont creusé les jalons.
Pour la commodité de la présentation, ces montres, assez nombreuses, seront classées en trois catégories : les chronographes sans compteur de Manufacture, les chronographes sans compteur sur base Ebauches SA et les montres Stop et leurs variantes.

1. Les chronographes sans compteur de Manufacture

Les années 1930 représentent l'âge d'or de la montre-bracelet suisse. C'est en effet à cette période que furent mis au point par exemple les premières montres automatiques, les premières montres étanches, les systèmes anti-choc ou, dans le domaine du chronographe, les premiers deux poussoirs ou les compteur d'heures.
A la fin des années 1930 le chronographe connut un engouement sans précédent, lié en particulier à la mise à disposition par Ebauches SA de mouvements chronographe bon marché comme le Vénus 140, apparut en 1935 ou des mouvements sans compteur de minutes, tels que le Vénus 103 ou le Landeron 32.
Mais il existait encore à cette époque de nombreuses Manufactures capables de mettre au point leurs propres ébauches.
On va ainsi voir apparaître des mouvements chronographes développés à partir de mouvements simples par des sociétés telles que Vulcain, Bulova ou Gruen, et, fait surprenant, ces sociétés n'ont jamais renouvelé plus tard cette expérience.

Vulcain a été créée en 1858 à La Chaux-de-Fonds par Maurice Ditisheim. La société est universellement connue aujourd'hui pour sa montre-réveil "Cricket" parue en 1947.
Vulcain était une Manufacture et produisait dans les années 1930 un mouvement de 10,5 lignes avec seconde au centre, le calibre 65 MS. C'est sur cette base que Vulcain a développé un rare calibre chronographe avec roue à colonne : le 65 Y. La petite taille de ce mouvement a permis à Vulcain de réaliser des chronographes sans compteur très fins et élégants qui furent sélectionnés par les forces armées d'Uruguay mais qui eurent peut-être aussi du succès auprès des dames.




Chronographe sans compteur Vulcain, calibre Vulcain 65 Y de 10,5 lignes



Version du chronographe Vulcain utilisée par les forces armées d'Uruguay

Ce fut sans doute aussi le cas du chronographe Bulova. Bien qu'américaine la société Bulova, créée à New-York en 1875 par Joseph Bulova, avait ouvert dès 1911 une succursale à Bienne qui employait une centaine d'horlogers au début des années 1930.
C'est à Bienne que fut développé, et breveté en 1938, le calibre chronographe. C'est un mouvement de 10,5 lignes, calibre 10 AH avec roue à colonne et ici aussi toutes pièces du chronographe sont montées sur un mouvement de montre standard et peuvent donc être enlevées très facilement.
La deuxième guerre mondiale menaçant, la fabrication de ce mouvement fut transférée aux Etats-Unis, d'où le fait qu'il ne soit pas gravé "Swiss Made" mais "USA". Ce transfert fut très mal vu par les autorités helvétiques, très pointilleuses à l'époque sur l'exportation de pièces détachées, ou chablonnage, et en 1941 une ordonnance du Département Fédéral de L'Economie Publique interdit l'exportation à Bulova.




Chronographe sans compteur Bulova de 1938, calibre Bulova 10 AH de 10,5 lignes

Pour son chronographe sans compteur, Movado, fondée en 1882 à La Chaux-de-Fonds par Achille Ditesheim et Manufacture depuis 1905, s'est appuyée sur l'expérience acquise lors du développement de ses propres calibres chronographe-compteur avec l'aide de la société Les Fils de Louis-Elysée Piguet au Brassus. Ces calibres de 12 lignes, 90 M avec compteur 60mn de 1938 et 95 M avec compteur 12h l'année suivante, ont en effet une conception modulaire et l'ensemble du plateau chronographe peut être retiré, en dévissant simplement trois jolies vis bleuies.
Le chronographe sans compteur Movado, lancé en 1941, était lui basé sur un petit calibre de 10,25 lignes, le 470, la version avec mécanisme chronographe roue à colonne s'appelant calibre 478. Il permit la production de montres élégantes, souvent dotés d'une échelle pulsométrique, appréciée des professions médicales.




Chronographe sans compteur Movado de 1941, calibre Movado 478 de 10,25 lignes

On retrouve également fréquemment cette échelle sur le Gruen Chrono-Timer.
Gruen a été créée à Colombus aux Etats-Unis par Dietrich Gruen en 1874. Le fondateur était d'origine allemande et il avait travaillé en Suisse. C'est sans doute pour cette raison que l'entreprise fonde à Bienne en 1903 la Gruen Watch Manufactoring Co. destinée à fabriquer les mouvements Gruen. Ces mouvements étaient reconnus pour leur qualité, et leurs noms, comme Veri-Thin, Quadran, Precision ou Curvex étaient notés sur le cadran des montres.
Cette tradition sera respectée avec le calibre chronographe sans compteur 450 développé en 1945 sur la base d'un mouvement de 11,5 lignes qui comporte le nom Precision sur le cadran et les noms Veri-Thin et Precision gravés sur le mouvement.




Chronographe sans compteur Gruen de 1945, calibre Gruen 450 de 11,5 lignes

On peut également mettre dans la catégorie des chronographes sans compteur de Manufacture une rare version Universal des années 1940, probablement liée à une commande militaire. Mais il s'agit là d'un mouvement chronographe-compteur, calibre 285 de 14 lignes, dont la fonction compteur de minutes est simplement supprimée.




Chronographe sans compteur Universal des années 1940, calibre Universal 285 de 14 lignes modifié pour la suppression du compteur de minutes

A la fin de la deuxième guerre mondiale le chronographe perd progressivement son aura, remplacé par la montre calendrier et la montre automatique. Et il faudra attendre une dizaine d'années avant que de nouveaux calibres chronographes sans compteur apparaissent et que certaines sociétés s'y intéressent à nouveau.
Ce sera le cas en 1956 de Phenix.

Les origines de Phenix remontent à 1873 lorsque Dubail, Monnin et Frossard créent leur entreprise à Porrentruy. En 1899 elle prendra le nom de Société Horlogère de Porrentruy puis, en 1902 devient la Phenix Watch Co. SA. C'est une Manufacture, spécialisée dans la montre ancre avec en particulier dans les années 1940 des mouvements 10,5 et 11,5 lignes, biseautés, avec seconde au centre.
En 1954 Phenix s'était illustré avec un mouvement automatique dont le rotor pivotait sur un palier à rouleaux : le Rollamatic. Et deux ans plus tard Phenix sort une montre surprenante, baptisée Chronostop, dont rien ne laisse présumer qu'il s'agit d'un chronographe. Cette montre n'a en effet ni compteur, ni poussoir. Les fonctions de commande de l'aiguille centrale se font en effet à partir de la couronne, formule d'ailleurs inaugurée avec un chronographe compteur sans poussoir de la Nicolet Watch en 1955. Mais là où Nicolet s'était basé sur un calibre Landeron, Phenix va créer son propre mouvement, calibre 132 de 10,5 lignes qui réussit le tour de force d'avoir des fonctions chronographiques complètes sans roue à colonne : en tirant la couronne jusqu'au premier arrêt l'aiguille des secondes s'arrête, au deuxième arrêt l'aiguille revient à zéro et en repoussant la couronne dans sa position initiale l'aiguille des secondes reprend sa marche.



1956




Chronographe Phenix de 1956. L'aiguille des secondes est commandée par la couronne. Calibre Phenix 132 de 10,5 lignes

Le chronographe suisse retrouvera de sa superbe dans les années 1960 après une vaste campagne de promotion organisée par la Fédération Horlogère et relayée par les fabricants de chronographes qui lancèrent de nouveaux modèles à succès comme l'Heuer Carrera ou le Breitling Top Time.
L'apparition des premiers chronographes automatiques en 1969 aura également un impact considérable et a probablement éclipsé la sortie d'un chronographe sans compteur d'une société que, là encore, on attendait pas : Oris.

Oris a été fondé en 1904 par Georges Christian et Paul Cattin à Holstein. De 20 employés à son origine, l'entreprise passe à 668 en 1953 puis 770 en 1965, avec une spécialisation dans le calibre à ancre à goupille qu'elle amène à un niveau exceptionnel de qualité puisqu'en 1953, 113 montres envoyées au Bureau du Locle obtiennent un Bulletin de Chronomètre.
Par la suite, avec l'assouplissement des règles régissant en Suisse la fabrication des mouvements, Oris fabriquera des mouvements à ancre rubis.
Pour fabriquer son chronographe Oris a fait appel au spécialiste du chronographe et du mouvement modulaire : Dubois Dépraz. Cela aboutira en 1970 au ChronOris, chronographe sans compteur, calibre Oris 725 de 27,50 mm, comportant un petit module à roue à colonne de 2 mm de haut et disposant en plus de la date par guichet à 3h. La montre semble comporter un deuxième poussoir, mais il s'agit en fait d'une couronne permettant de commander une lunette tournante intérieure faisant office de compteur de minutes. 27000 exemplaires du ChronOris ont été fabriqués.




ChronOris de 1970. Calibre Oris 725 de 27,50 mm




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