L'art de se faire entendre - L'histoire de la montre-réveil.
2éme partie : Des années 1950 à nos jours.
La fin des années cinquante représente l'âge d'or des montres-bracelets réveil. C'est un modèle obligé pour toutes les marques de grande diffusion qui se livrent une concurrence acharnée pour l'améliorer et le rendre plus attractif. Mais l'engouement du public durera-t-il ?
Voix d'or
En 1958 la "Cricket" a déjà plus de 10 ans et la firme VULCAIN doit faire face à une concurrence de plus en plus nombreuse. Seule solution pour conserver le peloton de tête : apporter de nouveaux modèles innovants. Cette année là, VULCAIN frappe donc dans deux directions simultanément : un nouveau calibre réveil pour homme, le 401, et une première : une montre-réveil pour dame, la fameuse "Cricket Golden Voice".
Ajouter des fonctions supplémentaires aux mouvements de montres pour dame nécessite pour les concepteurs des prouesses de miniaturisation. La Golden Voice, ou calibre 406, en est un exemple : pour 8,75 lignes de diamètre (19,5 mm), le mouvement ne fait que 5,25 mm d'épaisseur malgré la présence d'une seconde directe au centre et de 44 pièces supplémentaires par rapport à un mouvement simple. L'acoustique du réveil a fait l'objet d'un soin tout particulier. Du fait de la réduction de taille de la membrane, il a fallu tester plusieurs matériaux pour déterminer celui qui avait les meilleures performances acoustiques. C'est l'or qui a finalement été choisi, à la fois en raison de la puissance du son émis et de la résistance du matériau à la corrosion. La "Golden Voice" porte donc son nom à juste titre. Quant au calibre 401, pour homme, il comportait la date dans un guichet à 3 heures et une petite seconde à 6 heures. Un seul barillet remontait le mouvement horaire et le réveil, avec un dispositif limitant la durée de sonnerie à 15 secondes pour ne pas décharger totalement le ressort moteur. Malgré ses caractéristiques, le calibre 401 n'eut pas un succès important et ne réussit pas à détrôner le traditionnel calibre 120.
Légende : Cricket Calendar de 1958, calibre Vulcain 401
Mais la concurrence ne resta pas de marbre, en particulier JAEGER LECOULTRE qui la même année, 1958, sortit coup sur coup trois modèles remarquables : la première montre automatique réveil avec date, calibre 825, et deux modèles originaux bien adaptés à l'époque. Le premier de ces modèles était la Mémovox "Parking" qui trouve sa justification dans l'apparition des premières zones bleues et des parcmètres dans les grandes villes. Le disque central de la Mémovox Parking comporte quatre repères correspondant à 30 minutes, 1 heure, 1 heure et demi et 2 heures.
Légende : Catalogue Jaeger LeCoultre du début des années 1960 avec différentes versions de la Mémovox.
On pouvait ainsi faire sonner sa montre pour ne pas oublier d'aller changer son disque de stationnement ou verser son obole dans la tirelire municipale. Le deuxième de ces modèles était la Mémovox "Heures Internationales". Le disque mobile permettait là la mise à l'heure du réveil et le déplacement de l'échelle des 12 fuseaux horaires pour connaître l'heure dans n'importe quelle autre partie du monde. A la même époque, les premiers jets commerciaux autorisaient les vols intercontinentaux et leur cortège de décalage horaire...
En 1959 la Mémovox Parking fit d’ailleurs deux émules : la BENEDICT "Park-o-phon" dont le disque mobile comportait une zone divisée en périodes successives de 15 minutes et la FRAMONT "Parking", avec dateur, dont la lunette tournante permettait de régler la sonnerie.
Légende : BENEDICT Park-o-Phon, c. 1960. Mêmes indications que la Mémovox Parking mais par tranches de 15 mn. Mouvement A. Schild cal. 1475.
A ce stade la montre-réveil existait avec un nombre impressionnant de variantes, mais il restait une version toujours absente des vitrines des horlogers : un modèle vraiment étanche capable de sonner dans l'eau. Et c'est à nouveau la firme VULCAIN qui releva le défi.
Un réveil au monde du silence
C'est dans les années cinquante qu'a été perfectionné le scaphandre autonome, immortalisé dans le film "Le Monde du Silence", Palmes d'Or du Festival de Cannes en 1956. Un plongeur autonome classique, respirant de l'air comprimé, ne peut guère dépasser les 60 à 70 mètres de profondeur. Or le plateau continental, vaste surface sous-marine alors inexplorée tout au long des continents, se trouve à une profondeur d'environ 200 à 250 mètres. A la fin des années 50 le Pr. Hannes KELLER de Zurich, mathématicien et plongeur expert des grandes profondeurs, mit au point des mélanges gazeux qui autorisaient de descendre à de telles profondeurs et permettaient de plus une réduction considérable des temps de décompression nécessaires pour la remontée. Il fallait à ces pionniers un instrument de mesure du temps à la hauteur de leurs ambitions. Hannes KELLER s'associa alors avec l'explorateur et cinéaste Max-Yves BRANDILY et l'instructeur national de plongée Arthur DROZ pour mettre au point en collaboration avec VULCAIN la première montre-réveil de plongée : la "Cricket Nautical".
Le cahier des charges était contraignant : il fallait que la montre soit étanche jusqu'à 300 mètres, qu'elle affiche les paliers de décompression et qu'elle sonne clairement dans l'eau pour avertir un voire plusieurs plongeurs. L'étanchéité fut obtenue grâce à la construction d'une boîte à trois fonds superposés, suffisamment mince pour produire des vibrations puissantes et suffisamment solide pour résister à des pressions de l'ordre de 30 atm. Pour les paliers de décompression, la traditionnelle lunette tournante des montres de plongée fut supprimée et remplacée par un cadran central tournant au moyen d'une couronne supplémentaire. Le cadran central est placé au-dessus du premier cadran qui est fixe. Il porte une ouverture rectangulaire disposée latéralement et à travers laquelle on peut lire les durées d'arrêt aux paliers classiques de 9, 6 et 3 mètres. Le verre lui-même a fait l'objet de recherches poussées et a été remplacé par une matière plastique particulièrement résistante. Le mouvement utilisé fut le classique calibre 120 et la sonorité obtenue était d'autant plus puissante que l'eau conduit bien mieux les vibrations que l'air. La montre Cricket Nautical fut utilisée la première fois en 1961 et elle accompagna Hannes KELLER lorsqu'il battit plusieurs records de plongée, atteignant 300 mètres dans le caisson de haute pression du GERS à Toulon, sous l'œil amical du Commandant COUSTEAU.
Eclipse
Au cours des années 60, l'intérêt du public pour les montres-réveils s'affaiblit peu à peu. La mode était plutôt aux montres automatiques aux formes affirmées sinon ostentatoires, le plastique faisait son apparition et l'électronique connaissait ses premiers balbutiements micro-horlogers. En 1969 l'intérêt pour la montre-réveil fut relancé par la sortie simultanée de quatre nouveautés : les calibres manuels A.SCHILD 1930 et 1931, le second avec date par guichet à 3 heures et dérivés des calibres 1475 et 1568; le calibre automatique 916 de JAEGER-LE COULTRE, dérivé du 815 mais avec une fréquence de balancier plus rapide à 28800 alternances/h. pour améliorer la précision de la montre; et la première montre réveil OMEGA : la "Mémomatic". La firme bernoise ne voulait pas manquer son entrée dans le monde du réveil de poignet et dota sa Mémomatic de nombreux perfectionnements. Le mouvement, automatique, calibre 980 ébauche Lémania, était remarquable : par ses dimensions tout d'abord avec un diamètre de 13,75" (30,8 mm) et une épaisseur de 7,8 mm; par ses caractéristiques enfin puisque pour la première fois le rotor central remontait dans les deux sens le barillet unique pour le mouvement et la sonnerie. Muni d'une date par guichet à 3 heures, la montre permettait d'autre part le réglage du réveil à la minute près grâce à deux disques mobiles centraux sur le cadran, l'un pour les heures et l'autre pour les minutes. Enfin la sonnerie était obtenue grâce à un solide timbre courant sur 180° autour du mouvement.
Mais en 1970 apparut une petite montre presque insignifiante, aux allures de gadget bon marché, qui portait en elle le germe de la terrible crise qui allait secouer toute l'industrie horlogère suisse. C'était la NEPRO "Zanzara", première montre à sonnerie électronique. Le mécanisme était hybride avec un mouvement horaire mécanique à remontage manuel, calibre Fontainemelon 69, et un petit boîtier électronique séparé, muni d'une pile, qui permettait néanmoins d'atteindre 80 dB à 22 cm de la source. La sonnerie pouvait durer 5 minutes.
En 1972 la firme NEPRO récidiva avec le modèle "Elevox" toujours muni du calibre mécanique FHF 69 mais dont l'électronique était désormais incorporée au boîtier et dont le son était produit par le verre de la montre grâce à un tenon en contact avec le générateur acoustique électronique. Il y eut même cette année là une version automatique, la "Mémotron", munie du calibre ETA 2671.
Et ni la version plongeur de la Mémovox, la JAEGER-LE COULTRE "GT" étanche à 100 m et sortie en 1971
Légende : Rare version plongeur de la Mémovox.
, ni la série de mouvements de montres-réveils SCHILD sortie en 1974, le 5001 à remontage manuel, les 5004 et 5005 automatiques pour le mouvement horaire, les 5007 et 5008 automatiques pour les deux mouvements horaire et réveil, ne purent s'opposer à la déferlante du quartz, à ses bips nasillards et à ses "Lettre à Elise" décharnées, égrenées à l'ennui par des processeurs sans âme...
Et pendant près de quinze ans, aucune montre bracelet réveil mécanique ne fut plus produite en Suisse.
Le réveil se réveille
C'est aux héritiers de VULCAIN que l'on doit la redécouverte de la montre réveil. En 1986 en effet, REVUE THOMMEN prend la décision de réintroduire la Cricket. Problème : les calibres 401 et 406 sont épuisés et il ne reste pratiquement plus de calibre 120, le calibre original de 1947. Par chance on peut encore trouver des calibres A. SCHILD 1930 et 1931 qui seront donc utilisés. Ce sera alors pour la firme de La Chaux de Fonds le début d'une succession de rééditions : vers 1990 la Cricket Nautical, en 1993 la Cricket avec date, en 1994 la réintroduction du calibre original produit désormais sous le nom de calibre 80, et en 1997, pour célébrer le 50ème anniversaire de la Cricket, REVUE THOMMEN sort plusieurs versions en séries limitées où se conjuguent le platine, l'acier et les cadrans en émail.
Légende : Cricket en platine réalisée pour célébrer l'anniversaire du modèle en 1997. Mouvement base A.Schild.
Le renouveau de la montre réveil doit également beaucoup à la firme ORIS qui en 1988, après s'être procuré des mouvements A. SCHILD 1930 et 1931 de 1969, lança la "Wrist Alarm" et redonna ainsi au public le goût pour les montres qui sonnent. La Wrist Alarm fut produite jusqu'à l'épuisement des mouvements vers 1993.
Coup d'éclat en 1989, JAEGER LECOULTRE, fidèle à sa longue tradition d'innovation dans le domaine, sort la première montre bracelet réveil avec calendrier perpétuel : le célèbre "Grand Réveil".
Cette montre remarquable comporte un calendrier perpétuel, incluant l'affichage des années, ne nécessitant aucun réglage calendaire jusqu'en 2100, année où deux années bissextiles se succéderont, les phases de la lune et un réveil dont la caractéristique principale est sa sonorité exceptionnelle obtenue par l'utilisation d'une cloche en bronze maintenue en suspension à l'intérieur du mouvement. Malgré ses 350 pièces et ses 36 rubis le calibre 919 qui équipe cette montre ne fait que 8,3 mm d'épaisseur.
La montre réveil redevient alors un modèle prisé par de nombreuse Maisons qui utilisent en général des calibres dérivés du A. SCHILD 5008 à nouveau en production : ULYSSE NARDIN en 1993 avec une version alarme automatique de la San Marco, JUVENIA en 1994, ETERNA en 1996... Enfin en 1994 JAEGER LECOULTRE présente l'héritière de la Mémovox, la Master Réveil, automatique, munie de la date par guichet à 3h., calibre 918, 22 rubis, 28800 alt/h. et sonnerie à timbre suspendu.
Et l'histoire ne s'arrête pas là : tout n'a pas encore été dit dans le monde du bracelet réveil : GIRARD PERREGAUX a créé la Traveller II, automatique avec date, réveil et deuxième fuseau horaire, FORTIS le premier chronographe avec réveil en 1997, conçu par l'horloger Paul Gerber, et BREGUET a présenté à Bâle en 2003 une très belle montre réveil automatique avec deuxième fuseau horaire, réserve de marche et guichet indicateur de fonctionnement.
Légende : Montre réveil présentée par BREGUET à Bâle en 2003. Calibre Breguet 519F.
Il est vrai qu'avec un tel sujet le génie horloger n'est pas prêt de s'endormir...
Un murmure au delà des Alpes
Toutes le montres bracelets réveil ne sont nées en Suisse. Deux autres pays ont su concevoir et fabriquer ces bourdonnants garde-temps. L'Allemagne d'abord avec deux modèles très recherchés : la JUNGHANS "Minivox", dont le brevet date de 1949 et qui comportait un mouvement de 12,5 lignes baptisé calibre 89 avec seconde centrale et barillet unique, et l'HANHART "Sans souci" (sic), vers 1950 dont le mouvement de 13,5 lignes, calibre 301 avec seconde au centre, était réglé par un remontoir unique.

Légende :cette Hirco Alarm-O-Matic est équipée du calibre Hanhart 301.
L'URSS enfin a produit dès 1962 une copie du mouvement A. SCHILD 1475 : le POLJOT calibre 2612. Ce mouvement est toujours en production et équipe des montres de marque POLJOT et SEKONDA.
|
|