L'art de se faire entendre - L'histoire de la montre-réveil.
1ère partie : Des origines aux années 1950.

Le réveil est la complication la plus ancienne de l'horlogerie. On pense même que vers le XIIème siècle des "réveils monastiques" destinés à rappeler les offices dans les couvents ont précédé l'apparition des aiguilles pour indiquer l'heure. Mais du mécanisme monumental à la montre-bracelet qui sonne, il a fallu quelques siècles de progrès et une bonne dose d'ingéniosité.
Ne pas rater le coche
Après ces premières expériences monacales, le réveil a accompagné les progrès de la miniaturisation de l'horlogerie dite de petit volume. Ainsi au XVème siècle les horloges de table étaient souvent munies d'un réveil sonnant sur une petite cloche. En 1601, la Corporation des Horlogers de Genève imposait la fabrication d'un "petit horloge à réveille-matin" à quiconque voulait devenir Maître. Et dès le XVIème siècle on trouve des montres de poche réveil dont le couvercle, ajouré d'élégantes arabesques, favorisait le passage du son, subtile observation acoustique dont l'idée sera reprise bien plus tard.
Au XVIIème siècle une version très aboutie de réveil apparaît sous la forme de la montre dite de carrosse : il s'agit d'une montre de dimension respectable, 8 à 12 cm de diamètre, munie en général d'une sonnerie "au passage" et d'un réveil pour que les voyageurs de l'époque, harassés par les pénibles conditions de transport, ne ratent pas leur correspondance. Plus tard les pendulettes d'officier seront toujours munies d'un réveil et la Fabrique L'Epée a même produit à la fin du XIXème siècle des montres de poche intégrant une boîte à musique qui réveillait en jouant un petit air militaire.
Faire du bruit.
Dans une montre-réveil mécanique, le son provient d'un petit marteau qui frappe une pièce métallique. Jusque là rien d'extraordinaire, mais les choses se compliquent lorsqu'on sait que le marteau ne fait que quelques millimètres et que le bruit que l'on doit obtenir est sensé réveiller un bon dormeur. Plusieurs solutions techniques ont été retenues :
- le marteau frappe sur un timbre : c'est le même principe que celui des montres à répétitions. Le timbre est un fil d'acier circulaire entourant le mouvement. Avantage le son est plutôt agréable, inconvénient on ne l'entend guère.
- le marteau frappe sur une cloche : la cloche est représentée par une cuvette qui recouvre le mouvement en arrière et qui est sertie sur la carrure. L'espace existant entre la cuvette et le fond sert de caisse de résonance. On peut même se passer de cuvette, le marteau frappant directement sur la boîte. Avantages : simple et plutôt efficace.
- le marteau frappe sur une membrane : la membrane est une cuvette munie d'un plot que le marteau vient frapper. Associée à un fond ajouré pour amplifier le son et sous réserve que la position du plot soit judicieusement calculée, la membrane a les meilleures performances acoustiques.
Les précurseurs
Certains brevets concernant les montres-réveils datent de 1888, mais la première réalisation en montre-bracelet fut un modèle Eterna présenté à l'Exposition Nationale Suisse à Berne en 1914, sur la base du brevet suisse n° 42203 déposé le 11 Février 1908.
Légende : La première montre-revéil Eterna telle qu'elle était présentée à la Foire de Bâle en 2001
Certaines des montres fabriquées selon ce modèle disposaient d'une grille protectrice ce qui les destinaient probablement à un usage militaire. Un barillet unique armait à la fois le mouvement et l'alarme, que l'on réglait grâce à une lunette tournante. A l'arrière, une cuvette était percée de deux guichets pour le réglage fin du balancier et pour l'enclenchement de l'alarme. La boîte, en argent, avait un diamètre de 36,5 mm et une épaisseur totale de 14,5 mm. Le fond n'était pas perforé, ce qui limitait la puissance de la sonnerie, mais il était à charnière et pouvait s'ouvrir formant alors un chevalet pour la montre dont les performances acoustiques étaient alors améliorées.
Vers 1920, la firme Zénith proposa également une montre alarme en argent disposant d'un cadran secondaire, à 3 heures, pour le réglage de l'heure de réveil. Le mouvement comportait 2 barillets remontés par une couronne unique à 3 heures avec un poussoir de réglage à 2 heures pour les aiguilles et à 4 heures pour le réveil. Le son provenait d'un marteau frappant sur un timbre.
Mais deux problèmes enrayèrent le succès de ces modèles en avance sur leur temps : d'une part les vibrations répétées avaient une fâcheuse tendance à dérégler la montre, et d'autre part le son, bien qu'audible, manquait encore de puissance pour porter dignement le nom de réveil. Et il fallut attendre encore plus de 25 ans pour que d'un atelier de La Chaux-de-Fonds retentit une montre-réveil avec une force inattendue.
Avec l'aide de la physique et de l'entomologie
Nous sommes à la fin de la deuxième guerre mondiale, dans les ateliers de la Manufacture Vulcain, dirigée par Robert Ditisheim. Les techniciens s'affairent autour d'un projet de montre-bracelet réveil mais se heurtent à une sonnerie qui s'obstine à rester discrète. Le physicien français Paul Langevin, de visite à la Manufacture, est interrogé sur le problème et rassure alors tout le monde : si un insecte aussi petit qu'un grillon peut faire un bruit audible en plein air à plusieurs dizaines de mètres, alors une montre peut en faire autant ! La solution viendra d'un plot judicieusement fixé sur une membrane. Lors de l'action du marteau, cette dernière entre en résonance et le son est alors amplifié par un double fond percé d'orifices.

C'est ainsi que naquit en 1947 la Vulcain "Cricket" dont les caractéristiques techniques étaient remarquables : grâce au double barillet la puissante sonnerie durait prés de 25 secondes ; le réglage était très simple et ne faisait appel en tout et pour tout qu'à une couronne remontoir, remontant dans les deux sens, à 3 heures, et un poussoir unique à 2 heures. La montre avait même une aiguille des secondes "au centre", ce qui n'était pas courant à l'époque. Enfin et surtout c'était un modèle bien dans son temps : avec l'essor des échanges et des déplacements, la montre réveillait le voyageur de commerce, hôte chaque nuit d'un hôtel différent, rappelait un rendez-vous ou un coup de téléphone à donner ou encore prévenait l'automobiliste de la fin d'une durée de stationnement. Son succès fut considérable et de nombreuses autres Manufactures s'intéressèrent alors à la montre-réveil.
L'âge d'or des années 50

La première d'entre-elles fut LeCoultre qui, en 1950, sortit la légendaire "Mémovox". Les techniciens de la Manufacture du Sentier avaient très astucieusement appréhendé le problème de l'intensité de la sonnerie. Car il y a en effet deux situations différentes au cours desquelles la montre peut se faire entendre : le réveil matinal et le rendez-vous de l'après-midi. Soit, idéalement, une sonnerie puissante et une autre plus discrète. Sur la Mémovox, le marteau frappe directement le fond recouvert d'un couvercle perforé ; la vibration concerne donc également ce couvercle. Lorsque la montre est portée le couvercle est en contact avec le poignet : le son est donc atténué. Ainsi la montre a une sonnerie douce lorsqu'elle est portée et forte lorsqu'elle ne l'est pas. Le réglage faisait appel à deux remontoirs, l'un pour le mouvement de sonnerie à 2 heures, l'autre pour le mouvement horaire à 4 heures et l'aiguille du réveil était remplacée par un fort joli disque mobile central permettant de régler l'heure de réveil par intervalle de 10 minutes.
Petit défaut néanmoins, aussi bien pour la Cricket que pour la Mémovox, un petit choc malencontreux sur le poussoir ou le remontoir à 2 heures prive la montre de toute sonnerie, mettant le réveil en position arrêt, ce qui peut conduire à une grasse matinée bien involontaire ! Une solution élégante fut apportée en 1950 par la firme Lanco (Langendorf Watch Co.) avec son modèle "Lanco-Fon" : sur le cadran un petit guichet à 12 heures laissait apparaître soit un disque rouge (sonnerie armée), soit un disque blanc (sonnerie bloquée). Cette montre, disposait d'ailleurs d'un mouvement remarquable dont toutes les fonctions étaient gérées par une couronne-remontoir unique à 3 heures. C'est aussi un piège pour le collectionneur qui se fie habituellement à la présence de deux remontoirs pour "repérer" les montres-réveils !

Légende : Cette Roamer n'est pas équipée d'un calibre Vulcain mais bien d'un Roamer 24-427. Pour la Fortis "Centinela" c'est un Vénus cal. 230.
En 1954 la firme Roamer Watch Co. à Soleure sortit un mouvement réveil, baptisé simplement "Alarm", très proche de celui de la Cricket avec son poussoir à 2h , mais c'est 1955 qui fut une année faste pour les montres-réveils, avec la sortie de deux mouvements qui furent utilisés par de très nombreuses marques. Le Vénus calibre 230 tout d'abord, reconnaissable à son poussoir à 4 heures, comportait un petit guichet, mais à 9 heures cette fois, laissant apparaître un disque vert lorsque l'alarme était en fonction et rouge lorsqu'elle ne l'était pas. Autre originalité, le mouvement ne comportait qu'un seul barillet avec un système de sécurité pour que la sonnerie ne désarme pas totalement le ressort unique, ce qui aurait conduit à un arrêt de la montre. Toutefois la réserve de marche, qui était de 56 heures avant sonnerie, n'était plus que de 38 heures après.

Deuxième mouvement important sorti en 1955, Le A. SCHILD "Alertic". Ce mouvement, simple mais extrêmement solide, reconnaissable par ces remontoirs à 2 heures et 4 heures, resta en production pendant plus de vingt ans et fut même copié, pratiquement à l'identique, par les soviétiques au début des années soixantes. Enfin, toujours en 1955, Paul BUHRE mit au point un système breveté d'affichage de l'heure de réveil grâce à un guichet à midi dont la forme astucieuse servait de repère pour la mise à l'heure précise du réveil. Peut être que l'examinateur du brevet ignorait que le célèbre horloger anglais George GRAHAM avait réalisé un tel guichet pour une montre réveil deux siècles auparavant...

L'année 1956 fut également particulièrement brillante avec pas moins de 3 premières : le premier réveil avec dateur par guichet à 3h, l'Angélus "Datalarm" (sur la base du mouvement du Schild "Alertic"), le premier réveil à double sonorité indépendante du port, et la première montre-réveil automatique.
La double sonorité, nous l'avons vu, existait déjà sous une forme indirecte avec la Mémovox. Mais la firme Pierce à Bienne développa ce principe avec le mouvement "Duo-Fon". La sonnerie était obtenue par un marteau frappant un timbre muni d'un amortisseur. Le choix de l'intensité de la sonnerie se faisait grâce à la rotation d'un poussoir à 4 heures et la visualisation était réalisée grâce à un petit guichet sur le cadran à 6 heures laissant apparaître un disque rouge pour la sonnerie forte et blanc pour la sonnerie douce.
Quant à la première montre-réveil automatique, c'est à Jaeger LeCoultre qu'on la doit avec la Mémovox Automatic. C'était une montre imposante dont le mouvement faisait prés de 32 mm de diamètre (14 lignes) pour 7 mm de haut. L'automatisme était assuré par une masse oscillante à butées qui assurait une réserve de marche de 55 heures. Le dispositif de remontage automatique ne concernait que le mouvement horaire ; le réveil était lui remonté manuellement grâce à la couronne-remontoir à 2 heures. En 1958 ce mouvement fut équipé d'un dateur par guichet à 3 heures, autre première de la Manufacture du Sentier.
C'est aussi en 1956 que la firme Cyma, qui à cette époque se trouvait à La-Chaux-de-Fonds, sortit son propre mouvement réveil : le calibre 464 "Time-o-Vox". Muni d'un barillet unique, il reprenait le principe ancien du timbre, fil d'acier entourant le mouvement, à la sonorité certes plus faible mais tellement plus agréable. L'aiguille de réglage du réveil parcourait un disque comportant 72 divisions ce qui permettait un réglage à 10 minutes près. Il était enfin muni d'une petite seconde à 6h, à la différence des autres mouvements réveils qui avaient tous une seconde au centre.
Qui a offert la montre du Président ?
La Vulcain Cricket, on le sait, a été portée et appréciée par plusieurs Présidents des Etats-Unis d'Amérique. On pourrait croire qu'il s'agissait là d'initiatives savamment orchestrées par la Maison Vulcain pour assurer la promotion de leur production. Il n'en est rien. La Cricket du Président Harry Truman, heureux homme qui s'était vu offrir quelques années auparavant une Universal Tri-Compax en or pour la signature des accords de Potsdam, lui a été offerte en 1952 par le Président du Syndicat des Photographes de la Maison Blanche. Peut-être pour ne pas oublier les séances de prise de vues... Le général Dwight Eisenhower, qui signa dans les années 50 les accords protectionnistes limitant les importations de montres suisses aux Etats-Unis, en portait une qui se mit à sonner, un jour, lors d'une conférence de presse. "La Suisse s'est vengée" murmura-t-on au pays de Neuchâtel... Lyndon Johnson a acheté lui-même sa Cricket lors d'un séjour à Genève et l'a fait réviser par Vulcain en 1964, ce qui valut à la Maison Chaux-de-Fonnière une chaleureuse lettre de remerciement. Celle du Président Nixon lui fut remise par le Président des Importateurs de Montres aux USA. Sans rancune... Quant à celle de Ronald Reagan, elle lui a été offerte par l'agent finlandais de Vulcain lors d'un voyage du Président à Helsinki.
Reste en fait deux montres directement offertes par Revue-Thommen : l'une pour le Président Georges Bush et l'autre pour le Président Bill Clinton.
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Mouvement
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Année
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Sonnerie - Particularités
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Dimensions
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Rubis
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Poussoirs et remontoirs
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Fonctionnement
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VULCAIN cal. 120 "Cricket"
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1947
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- membrane
- seconde au centre
- double barillet
- 25 secondes de sonnerie
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- 12 "
- h. 5,60 mm
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17
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1 poussoir à 2h.
1 remontoir à 3h.
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- La couronne remonte le
mouvement dans un sens (gauche) et le réveil dans l'autre (droite)
- pour régler la sonnerie :
1- presser le poussoir à fond, ce qui fait saillir la couronne qui dirige
alors l'aiguille de sonnerie.
2 - presser la couronne à fond et la montre
sonnera à l'heure choisie. La sonnerie est condamnée, ou interrompue, en
pressant le poussoir à mi-course.
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JAEGER LE COULTRE
cal. 814 "Mémovox"
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1950
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- fond cloche
- seconde au centre
- double barillet
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- 12,5"
- h. 5,10 mm
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17
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1 remontoir à 2h.
1 remontoir à 4h.
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- couronne à 2h. pour le
mouvement de sonnerie, le réglage de l'heure de sonnerie et la position
marche/arrêt.
- couronne à 4h. pour le
mouvement horaire et la mise à l'heure.
- l'aiguille du réveil est
remplacée par un disque mobile portant un index se déplaçant en regard d'une
graduation (intervalles de 10 mn.)
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LANCO cal. 1244 "Lanco-Fon"
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1950
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- cloche
- seconde au centre
- double barillet
- guichet à 12h. laissant
apparaître soit un disque rouge (sonnerie armée), soit un disque blanc
(sonnerie bloquée)
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- 12,5"
- h. 5,30 mm
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17
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1 remontoir à 3h.
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- la couronne remonte le
mouvement dans un sens (gauche) et le réveil dans l'autre (droite).
- réglage de l'heure de
sonnerie : tirer la couronne de remontoir jusqu'au premier cran et tourner à
droite.
- la sonnerie est
interrompue, ou condamnée, par une rotation à gauche de la couronne de
remontoir.
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ROAMER cal. 24-427 "Alarm"
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1954
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- double barillet
- seconde au centre
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- 12"
- h. 6,10 mm
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17
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1 poussoir à 2h.
1 remontoir à 3h.
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- la couronne remonte le
mouvement dans un sens (gauche) et le réveil dans l'autre (droite)
- la couronne en position
intermédiaire permet le réglage du réveil.
- la couronne en position
tirée permet la mise à l'heure.
- la sonnerie est
interrompue, ou condamnée, par une pression sur le poussoir à 2h.
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A.
SCHILD cal. 1475 "Alertic"
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1955
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- double barillet
- seconde au centre
- le marteau frappe
directement la boîte (sonnerie 10 sec.)
- cal. 1568 (1956) : date
par guichet à 3h.
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- 11,5"
- h. 5,75 mm
- (avec date, h. 6,90 mm)
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17 (21 pour le cal.
1568)
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1 remontoir à 2h.
1 remontoir à 4h.
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- couronne à 2h. pour le
mouvement de sonnerie, le réglage de l'heure de sonnerie (position tirée), la
position marche (tirée), la position arrêt (pressée)
- couronne à 4h. pour le
mouvement horaire et la mise à l'heure.
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PIERCE "Duo-Fon"
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1956
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- double barillet
- seconde au centre
- sonnerie par timbre avec
deux sonorités.
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- 13"
- h. 5,60 mm
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21
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1 remontoir à 3h.
1 poussoir à 4h.
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- la couronne à 3h.
remonte le mouvement dans un sens (droite) et le réveil dans l'autre (gauche)
- la couronne en position
intermédiaire permet le réglage du réveil
- la couronne en position
tirée permet la mise à l'heure.
- le choix de sonnerie se
fait en tournant d'un quart de tour le poussoir à 4h. et la visualisation se fait
par un guichet à 6h. : disque rouge : sonnerie forte, disque blanc : sonnerie
douce.
- la sonnerie est
interrompue, ou condamnée, par pression sur le poussoir à 4h.
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JAEGER LE COULTRE cal. 815
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1956
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- mouvement automatique
avec masse oscillante à butée.
- réserve de marche de 55h.
- double barillet
- seconde au centre
- durée de sonnerie : 20
sec.
- cal. 825 (1958) : date par
guichet à 3h.
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- 14"
- h. 7,05 mm
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17
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1 remontoir à 2h.
1 remontoir à 4h.
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- le dispositif
automatique ne remonte que le mouvement horaire.
- la couronne à 2h. a donc
les mêmes fonctions que sur le calibre 814
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(Suite) 2ère partie : des années 1950 à nos jours
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