Enicar Jet Graph



L'Enicar Jet Graph

C'est vers 1913 qu'Ariste Racine crée à la Chaux-de-Fonds l'Horlogerie Enicar, anagramme de son nom. L'entreprise déménage rapidement vers Lengnau près de Bienne où elle s'installe définitivement. Enicar a une gamme variée de modèles pour hommes, pour femmes, pour militaires, avec boussole intégrée etc...
Un catalogue des années 1950 révèle que certains modèles portent également le nom Longeau ou Alprosa.

C'est en 1956 qu'Enicar va d'une certaine façon sortir de l'ombre. En mai de cette année là, une expédition d'alpinistes suisses sur l'Himalaya réussit pour la première fois l'ascension de l'Everest et du Lhotsé à 6 jours d'intervalle. Tous les membres de l'expédition portaient des montres Enicar, baptisées "Sherpas" pour l'occasion.
Ces montres, automatiques et étanches, portaient également l'inscription Ultrasonic du nom d'une technique exclusive de nettoyage des mouvements aux ultrasons avant huilage, utilisée à cette époque par Enicar.
La réputation des montres Enicar va aller en grandissant avec la sortie de nouveaux modèles à la fois robustes et innovants : citons en particulier la Sherpa Dive de 1958, étanche à 200 mètres et dont le fond porte gravé le dessin d'une huître ouverte avec sa perle et la mention "Seaperl" que l'on retrouvera sur toutes les Enicar étanches. En 1960 il y aura la Sherpa World Timer avec indication d'un deuxième fuseau horaire, année ou Enicar choisit, pour accélérer son développement international, un mode de distribution audacieux et en avance sur son temps : à Johannesburg, en Afrique du Sud, Enicar ouvre un magasin qui ne vend exclusivement que des montres Enicar. Devant le succès de la boutique, les détaillants, qui s'étaient montrés réticents jusqu'alors, s'empressent de demander à être distributeur de la marque...

Le premier chronographe Enicar apparaît en 1961. C'est le Sherpa Graph, chronographe simple avec tachymètre sur le cadran et boîte étanche. Et en 1965 Enicar sort le chronographe Jet Graph, premier chronographe avec aiguille supplémentaire 24 heures pour l'indication d'un deuxième fuseau horaire.

L'Enicar Jet Graph a toutes les caractéristiques du beau chronographe technique des années 1960. Il est assez massif, son diamètre hors poussoirs est de 40 mm et son épaisseur glace comprise de 13 mm, mais ses poussoirs ronds et ses anses dégagées lui donnent une certaine élégance, surtout si on le compare aux designs des chronographes du début des années 1970.
Le cadran est noir avec des compteurs blancs ce qui améliore la visibilité et fait allusion aux montres de plongée. Les aiguilles des compteurs de secondes et de minutes sont rouges alors que l'aiguille 24 heures à une décoration en damier rouge et noir, décoration que l'on retrouvera d'ailleurs sur les autres chronographes GMT (Greenwitch Meridian Time, nom générique des montres indiquant un deuxième fuseau horaire) qui sortiront peu après.
L'aiguille des heures, blanche comme celle des minutes, est quant à elle percée d'un petit guichet près de son extrémité ce qui permet de ne pas cacher le logo Enicar lorsqu'on approche de midi...

La lunette tournante comporte 24 divisions, moitié sur fond noir et moitié sur fond blanc, comme il est habituel pour les montres GMT pour symboliser le jour et la nuit. Il y a d'autre part un petit index rouge, monté sur un anneau de la même couleur en périphérie du verre bombé synthétique : il est lui-même mobile et peut servir de marqueurs pour l'aiguille des minutes ou celle des heures.

Sur le fond de la boîte en acier on retrouve gravée l'huître et sa perle étoilée avec la mention Sherpa 300. On trouve également la mention Ultrasonic et un numéro de brevet suisse.

Contrairement ce que pourrait laisser penser les fines facettes en périphérie du fond, ce dernier n'est pas vissé. C'est une caractéristique de plusieurs modèles étanches Enicar. Un regard plus attentif fait en effet découvrir, gravés sur le fond, près de la couronne et de l'un des poussoirs, les symboles O et I. Ces symboles, lorsqu'ils sont en regard de la couronne, marquent la position du fond : I la boîte est fermée, O la boîte est ouverte. Moins d'un quart de tour du fond suffit en fait à ouvrir la montre grâce à un système de fermeture à baïonnette à 3 points d'appui (flèches sur l'illustration) et c'est ce système qui fait l'objet du brevet.

Le brevet n'est d'ailleurs pas d'Enicar mais d'Ervin Piquerez, célèbre fabricant de boîte à Bassecourt dans le Jura bernois. Piquerez est une très ancienne fabrique de boîte, particulièrement renommée pour ses boîtes étanches. Depuis le début du XXe siècle elle n'a de cesse de perfectionner l'étanchéité de ses boîtes et des couronnes et a déposé un grand nombre de brevets sur le sujet.

Dans les années 1960 Piquerez disposait d'une gamme de trois modèles de boîtes étanches baptisées "Compressor" : la Compressor munie du système à baïonnette sans vis dont est doté le chronographe Jet Graph ; la Compressor 2, boîte de forme fermée par 4 verrous à ressorts de compression ; et la Super Compressor à vis et ressorts de compression pour les montres de plongée.
Il faut noter toutefois que le brevet de la boîte Compressor est nettement plus ancien que le chronographe Jet Graph : il a été déposé dès 1953.

Lorsqu'on ouvre la boîte on distingue, gravé à l'interieur du fond, l'emblème de Piquerez sous la forme d'un casque de scaphandre de plongée.

Et on découvre également le mouvement : un superbe Valjoux 724, version avec aiguille 24 heures du Valjoux 72. Le Valjoux 72 est un calibre de 13 lignes (29,5 mm) pour une hauteur de 6,95 mm. C'est un mouvement de très bonne facture avec roue à colonnes, ressorts usinés et balancier à masselottes. Il existe depuis la fin des années 1940 mais il dérive d'un mouvement encore plus ancien : le Valjoux 23.
Pendant près de trente ans, du début des années 1950 à la fin des années 1970, le Valjoux 72 a été considéré comme l'un des meilleurs mouvements de chronographe suisse. Il a été utilisé par de nombreuses Maisons prestigieuses comme LeCoultre ou Rolex et on le retrouve également sur les modèles haut de gamme de Maisons comme Heuer et même, dans les années 1960, Longines ou Universal lorsque ces deux fabricants cessèrent de fabriquer leurs propres mouvements chronographes.
Le Valjoux 72, qui comporte un compteur 30 minutes et un compteur 12 heures, a existé dans de nombreuses versions. Citons en particulier le 72 C avec triple fonction calendaire (date par aiguille, jour et moi par guichet) ou le 88 avec calendrier complet et phases de lune.

Le 724 est quant à lui de 1965. Il a été utilisé dès cette année là par Enicar et semble-t-il peu après par Heuer sur une version du chronographe Autavia baptisée Autavia GMT. On le retrouvera en 1970 sur un chronographe GMT de la marque Nivada et ce sera pratiquement la fin de sa carrière. Il sera en effet concurrencé, n'ont pas par le chronographe GMT Flightmaster lancé par Omega en 1969, mais par les premiers chronographes automatiques avec en particulier les versions GMT du Chrono-Matic, lancées simultanément en 1970 par Breitling (Chrono-Matic GMT), Heuer (Autavia GMT) et Hamilton (Pan-Europ).
Cela ne fait certainement que rajouter de l'intérêt à l'Enicar Jet Graph, aussi agréable à avoir au poignet de nos jours que cela pouvait l'être en 1965...




Sources :

- Journal Suisse d'Horlogerie : 1929, 1951, 1956, 1958, 1960 à 1975
- Revue Internationale d'Horlogerie : 1957, 1959
- Catalogue Enicar c. 1950
- Catalogues Ebauches SA : 1950, 1955, 1969
- Swiss Timepiece Makers par Kathleen Pritchard, éditions Phoenix, 1997

Copyright : Joël de Toulouse, Juillet 2002, invenit et fecit.com