Excelsior Park et les Jeanneret de St Imier



Excelsior Park et les Jeanneret de St Imier

Le nom Jeanneret est associé à pas moins de 4 entreprises horlogères de St Imier : Moeris, Léonidas, Excelsior Park et Jules-Fred. Jeanneret. Dans cet article nous nous intéresserons à ces deux dernières entités et en particulier à Excelsior Park.
Excelsior Park a été une entreprise majeure dans le domaine des compteurs et des chronographes. Créée en 1866, ses origines sont confuses car deux entreprises aux noms proches et toutes deux installées à St-Imier revendiquent la même date de création et la même spécialisation dans le chronographe. Il s'agit de Jules-Fréd. Jeanneret et de Jeanneret et Fils. Et pour ajouter à la confusion les deux sociétés ont utilisé la même marque "Colombe" sur certaines montres. Il semble bien que les deux entreprises aient eu une origine commune mais elles se sont sans doute séparées relativement tôt et ont alors suivi des parcours indépendants.

La branche Jules-Fréd. Jeanneret


Publicité de 1890

Jules-Fréd. Jeanneret avait sa fabrique Rue de Tramelan. En 1890 il s'y produisait des montres ancre de 18 à 20 lignes et des chronographes 19 lignes, simples ou avec compteur de minutes. La marque "Pigeon" était déposée et l'entreprise avait obtenu une médaille d'argent à l'exposition universelle d'Anvers en 1885.
Jules-Fréd. Jeanneret décède au début des années 1890 et son épouse reprend l'entreprise qui prend alors le nom de Vve de Jules-Fréd. Jeanneret. Des chronographes antimagnétiques et des chronographes avec seconde rattrapante, mécanisme en vue, font leur apparition.


Publicité de 1896

Les chronographes étaient brevetés et une publicité de 1896 nous apprend qu'il s'agit du brevet suisse n° 359. Ce brevet, déposé le 18 mars 1889, concerne des perfectionnements apportés à la construction des chronographes-compteurs et l'inventeur en est Alfred Lugrin à l'Orient-de-l'Orbe, celui-là même qui est à l'origine de la célèbre Lémania. Alfred Lugrin avait sa propre fabrique et il est possible que les deux entreprises aient collaboré pour la fabrication des mouvements.




Chronographe à rattrapante Smith & Son, c. 1895, mouvement Jules-Fred. Jeanneret, brevet Lugrin.

En 1900 apparaissent des chronographes 13 lignes, premier pas vers le chronographe-bracelet. En 1901 la société devient S. et P. Jeanneret, successeur de Vve J.-F. Jeanneret, et peu de temps après seul reste le nom Samuel Jeanneret.
En 1913 Samuel Jeanneret revendique la marque Colombe et produit des chronographes-bracelets parmi les premiers disponibles en Suisse.
L'entreprise disparait pour des raisons inconnues vers 1925.

Excelsior Park et la branche Jeanneret et Fils


Publicité de 1890

Jeanneret et Fils avait créé à Saint-Imier l'Usine du Parc. En 1890 l'entreprise s'appelle Alb. Jeanneret et Frères et produit des montres ancre de 13 à 24 lignes, des quantièmes et des chronographes sous les marques Colombe et Diana. L'entreprise revendique également une médaille d'argent à l'exposition d'Anvers en 1885.
En 1894 la fabrique s'appelle Jeanneret Frères et produit des chronographes sous la marque Colombe et des montres simples sous les marques Diana et Cervin. Un compteur de sport, breveté le 21 mars 1891 par Alb. Jeanneret et Frères, est baptisé "Excelsior". Il dispose côté mouvement d'un pont en forme de J qui deviendra une marque de fabrique pour les compteurs Excelsior Park.


Brevet de 1891 où l'on voit le pont en forme de J qui deviendra la marque de fabrique des compteurs Excelsior Park

Vers 1902 l'entreprise devient Jeanneret-Brehm, Usine du Parc, et fabrique ses premiers chronographes 13 lignes.
Pour compléter la gamme de montres, la fabrique H. Magnenat-Lecoultre au Sentier dans la Vallée de Joux est rachetée en 1911. Cette fabrique était spécialisée dans les montres à répétition, avec ou sans chronographe. L'entreprise prend alors le nom de Jeanneret-Brehm et Cie et vend ses compteurs sous la marque Excelsior, ses chronographes sous la marque Colombe et ses répétitions sous la marque Le Risoud.


Publicité de 1911

En 1915 la marque Excelsior est également utilisée pour les montres à répétitions et en 1918 l'entreprise devient Les Fils de Jeanneret-Brehm, Excelsior Park. Le nom Speedway Watch Co est parfois ajouté sur les brevets.

Au début des années 1920, avec la désaffection des montres à répétition, Excelsior Park va se recentrer exclusivement sur les compteurs et les chronographes. L'entreprise Jeanneret-Brehm et Cie est en effet devenu Excelsior Park vers 1918. Elle est dirigée par "Messieurs R.-H et Ed. Jeanneret. L'un d'eux, diplômé du Technicum de La Chaux-de-Fonds, est doublé d'un sportsman très au courant du chronométrage des courses; souvent appelé à fonctionner en qualité de chronométreur officiel, il fut amené à construire des appareils qui ne manquèrent pas d'être favorablement accueillis partout. La plupart, au surplus, ont été officiellement adoptés par des fédérations suisses ou internationales 1."
En 1921 est déposé un brevet concernant un verrou placé sur la carrure, indépendant du poussoir démarrant le chronométrage et permettant l'arrêt de l'aiguille.



Exemples des chronographes et compteurs Excelsior Park en 1922

En 1922 Excelsior Parc dispose d'une gamme de 32 compteurs différents : tachymètres, pulsomètres, à rattrapante, calibre ancre ou Roskopf, pour le foot-ball, le rugby, le water-polo, le hockey, avec sonnerie pour la boxe, montre dite de contrôle avec lunette tournante ce qui était original pour l'époque, compteur Taylor pour les calculs de production, ou encore l'Electro-pointer construit en collaboration avec M.Chaponnière, alors chronométreur officiel de l'Automobile-Club de Suisse.
Cette année là, le 24 mai pour être précis, Excelsior Park brevète un petit logement à l'intérieur d'un mouvement pour y placer des pièces de rechange. Cela deviendra également une marque de fabrique permettant instantanément de reconnaître un mouvement Excelsior Park. Cette idée sera toutefois copiée, par Léonidas et Berna en particulier, et Excelsior Park dut faire valoir ses droits par voie de presse.













Exemples de compteurs Excelsior Park : encreur, de poignet pour le football, pour le rowing, la steno, les régates et la boxe

En 1928 Excelsior Park revendique le titre de plus importante fabrique suisse pour les compteurs de sport. La gamme s'est encore agrandie avec des compteurs pour le canotage, le sport automobile, des compteurs à temps décimal, d'autres mesurant le centième de seconde avec l'aiguille faisant un tour par seconde. Un an plus tard est lancé une série de nouveaux mouvements de chronographe, de belle facture, de 18 à 22 lignes. Ils comportent des fournitures de rechange pour le rhabillage.



Chronographe Gallet équipé du calibre Excelsior Park créé en 1929

Un tournant se produit en 1938 avec la création du calibre chronographe de forme 12/13 lignes destiné aux montres-bracelets. C'est un beau mouvement qui, avec ses variantes, va être fabriqué pendant près de 40 ans. Les calibres chronographe de forme sont très peu nombreux : il semble qu'il n'y est guère que le Landeron 11 du début des années 1930, le Chrono-Sport d'Invicta qui date de 1932, et un rare chronographe rectangulaire Movado monté dans un boîtier Reverso vers 1939.


Publicité de 1938

Le mouvement sera d'abord appelé simplement 12/13 puis il sera baptisé calibre 42. Il existe d'emblée avec 1 ou 2 poussoirs et avec compteurs 30 ou 45 minutes. Excelsior Park le propose dans un petit chronographe élégant qui a une particularité supplémentaire ainsi décrite : "pour faciliter la lecture du cadran sur ce petit chronographe, une partie de la division a été placée sur le réhaut incliné de la lunette, au-dessous de la glace. Cette invention brevetée permet en outre la transformation d'un chronographe télémètre, par exemple, en tachymètre ou pulsomètre et changeant simplement le réhaut de la lunette."



Chronographe c.1938 équipé du calibre de forme Excelsior Park 12/13 et d'une lunette tournante avec échelle sous le verre

Quelques années plus tard apparut une version classique, ronde, de ce mouvement, baptisée calibre 4 et une version avec compteur d'heures du calibre 4, sous la dénomination 40.
Mais si ce mouvement eut une diffusion importante c'est qu'il ne fut pas utilisé que par Excelsior Park. Trois autres sociétés l'ont utilisé : Gallet, Zénith et Girard Perregaux.

Julien Gallet, originaire de Genève, s'est installé à La Chaux-de-Fonds dès les années 1820. Son fils Léon prend la relève et rachète la société Electa en 1907. Electa fabriquait initialement ses propres mouvements de chronographe à la Fabrique de St Jean à Genève, sous le nom de Société d'Horlogerie de Genève, mais avait déménagé à La Chaux de Fonds en 1902. Gallet a fabriqué très tôt des chronographes-bracelets qui pouvaient porter la marque Electa.
La sœur de Léon, Amanda, avait épousé Jules Racine qui s'était installé à New-York où il représentait la marque Gallet 2.
L'entreprise Gallet & Co. n'arrivera pas à se relever des difficultés de la première guerre mondiale et sera liquidée en 1928, mais pas la branche américaine qui restera active tout au long du 20e siècle.
Il semble que dès qu'il fut disponible, le mouvement Excelsior Park 42 fut utilisé par Gallet.



Chronographe Gallet, calibre Excelsior Park 40, c. 1950

Dans les années 1930 Zénith était l'une des plus importantes manufactures de Suisse. A la Foire de Bâle de 1936 un commentateur s'émerveille : " ses collections étaient au grand complet, comprenant tout ce que peut désirer une clientèle sérieuse. En poche et en bracelets, les formes classiques et les dernières créations étaient représentés par une gamme sélectionnée, en or jaune, en or blanc ou en acier. Le côté technique de sa fabrication continue de faire l'objet de sons vigilants qui valent à Zénith des succès continuels aux Observatoires de Neuchâtel et de Kew-Teddington. Au concours de l'Observatoire de Neuchâtel, en 1935, Zénith s'est de nouveau placée en tête – pour la dixième fois – s'adjugeant le 1er prix de série pour les six meilleurs chronomètres de bord et de poche. L'exposition Zénith comprenait en outre un choix de pendulettes et de réveils, des horloges électriques, ainsi qu'une magnifique série de pendules neuchâteloises 3." Mais parmi tous ces modèles, pas de chronographe. C'est alors que Zénith se tourne vers Excelsior Park et en 1938 lance ses premiers chronographes-bracelets, munis du calibre EP 42.


Publicité de 1938

Pourquoi Excelsior Park plutôt que Valjoux ou Ebauches SA ? Il y a certainement la volonté de rester indépendant du trust mais il y a aussi les qualités du produit final ainsi décrit dans les publicités de l'époque : un seul calibre 12-13'", donc assortiment de fourniture réduit, diamètre de lunette 28mm, cadrans interchangeables, boîtiers aux lignes modernes, mouvement de qualité extraordinaire et prix raisonnable.
Pendant près de 30 ans Zénith restera en effet fidèle aux calibres chronographes Excelsior Park.



Chronographe Zénith, c. 1940, équipé du calibre Excelsior Park 4

Girard-Perregaux avait été racheté par Mimo en 1930. Mimo ne disposait pas de calibre chronographe, si l'on excepte le calibre Stop-en-vol du modèle Mimolympic de 1936. C'est probablement aussi pour rester indépendant d'Ebauches SA que le calibre Excelsior Park fut choisi pour les chronographes signés Girard-Perregaux.



Chronographe Girard-Perregaux, c. 1960, équipé du calibre Excelsior Park 40

Sur la base du calibre 4, Excelsior Park va lancer vers 1945 un surprenant chronographe à aiguille d'orientation : "Ce chronographe à double poussoir est muni d'une aiguille-flèche pivotant au centre du cadran. Cette aiguille rouge porte la lettre N. Elle effectue un tour de cadran en 24 heures. Pour s'orienter, il suffit, tenant la montre horizontale, de la faire tourner jusqu'à ce que l'aiguille des heures "vise" le soleil. L'aiguille d'orientation indique alors la direction du nord. Lorsqu'après avoir laissé la montre s'arrêter, on la remet à l'heure, l'aiguille des heures doit se superposer à l'aiguille d'orientation à minuit et non à midi. Dans cette montre, un dispositif spécial permet de remettre à l'heure exacte la petite aiguille des secondes. Il suffit en effet de presser, puis de faire tourner une couronne placée sur le pourtour du boîtier, en face de neuf heures, pour déplacer la petite seconde, dans un sens ou dans l'autre 4."


Chronographe à aiguille d'orientation, c. 1945

Ce dispositif, dont le brevet a été déposé par la manufacture de St Imier en 1943, permettait une mise à l'heure "à la seconde", au top d'un signal radiophonique par exemple, et autorisa Excelsior Park quelques années plus tard, lorsque le mouvement fut muni d'un antichoc, à recommander cette montre aux parachutistes militaires : "Dans l'avion qui les transporte, les parachutistes reçoivent par radio l'heure exacte au moment propice. Chacun met alors son chronographe à l'heure à 1 seconde près, en déplaçant la petite aiguille de seconde de la quantité voulue par le moyen de la couronne B. De ce fait, après le parachutage, c'est pour ainsi dire à 1 seconde près, que tous les hommes peuvent aborder en équipe aux heures prescrites, les diverses tâches qui leur sont confiées. En mettant en marche les aiguilles de chronographe et de compteur par le moyen d'un des deux poussoirs, il leur est alors loisible de chronométrer à volonté la durée des diverses phases de chaque opération militaire. Pour rejoindre ensuite la base de rassemblement parfois lointaine, en terrain souvent inconnu, le parachutiste dissimulé dans le terrain s'oriente grâce à un autre dispositif encore de cette montre ingénieuse. Pour cela, il lui suffit de tourner la montre de telle façon que l'aiguille d'heures habituelle vise la position du soleil, alors l'aiguille centrale supplémentaire portant la lettre N lui indique automatiquement la direction du Nord 5."

Ce chronographe a été également commercialisé par Gallet et par Zénith qui l'avait baptisé Sextant.



Les principaux calibres Excelsior Park en 1949

Excelsior Park continuera la fabrication de chronographes et compteurs jusqu'aux années 1970 avec toujours à sa tête un descendant des fondateurs. Quelques modèles intéressants vont faire leur apparition dans la gamme : un modèle Yachting vers 1964 avec compteur de minutes rétrograde pour le départ des régates, un modèle de plongée à lunette tournante peu après et surtout l'Excel-O-Graph, chronographe munie d'une lunette règle à calcul, dans la grande tradition des Mimo-Loga et autre Breitling Chronomat.



Chronographe Excel-O-Graph, c. 1960, calibre Excelsior 40

Côté compteur il faut signaler une intéressante version avec minute centrale et compteur d'heures décentré présenté à l'Exposition Nationale Suisse en 1964.



Compteur Excelsior Park décimal à heures et minutes décentrées, présenté à L'Exposition Nationale Suisse de 1964

Excelsior Park ne résistera pas à la terrible crise des années 1970 et disparut en 1984. Une reprise fut tentée par la société Fume en Allemagne et de nombreux modèles de chronographes furent lancés, en particulier le modèle Monte Carlo équipé du rare calibre Valjoux 7740, version manuelle du chronomatic, calibre chronographe automatique développé par Buren et Dubois-Dépraz et lancé en 1969 par Hamilton, Heuer et Breitling. Cette reprise fut malheureusement de courte durée.
Mais avec un passé aussi prestigieux, peut-être que cette marque n'est en fait qu'en sommeil...


Publicité de 1969

Remerciements : cet article a bénéficié des conseils avisés de Sébastien Chaulmontet. Pour les illustrations, remerciements particuliers à Sébastien Chaulmontet, Edi Zumbach, Klaus Zimmerman, Gerd-R. Lang, Christian Pfeiffer-Belli et Antoine Simonin. La plupart des documents d'archives ont été consultés au Musée International d'Horlogerie de La Chaux-de-Fonds. Remerciements particuliers à Jean-Michel Piguet pour son aide concernant l'iconographie au MIH.





  1. Revue Internationale de l'Horlogerie et des Branches Annexes, 1922, p. 345-346
  2. Pierre-Yves Donzé, Les patrons horlogers de La-Chaux-de-Fonds, Editions Alphil, 2007, p.32
  3. Revue Internationale de l'Horlogerie, 1936, p.108
  4. Le chronographe avec aiguille d'orientation, La Suisse Horlogère, 1953, p.16
  5. Revue Internationale d'Horlogerie, 1954, p. 26