Les chronographes de poche de la région de Neuchâtel - 1870/1910
1 : Le Locle

Le chronographe dans sa version moderne, avec aiguille centrale pouvant être démarrée, stoppée et remise à zéro, est né dans la Vallée de Joux dans la deuxième moitié du 19e siècle. C'est Henri-Ferréol Piguet qui a fabriqué le premier de ces chronographes pour la Maison Nicole & Capt qui commercialisait ses montres à Londres, sur Doyen Street. Il fut exposé à l'Exposition Internationale de Londres en 1862.

La production de chronographes s'est accélérée ensuite à partir des années 1870 dans la Vallée de Joux, puis, à partir des années 1880, dans les régions de Neuchâtel et de Berne. C'est en effet dans les Montagnes Neuchâteloises que le chronographe s'est industrialisé et qu'a commencé sa production en grande quantité. Il faut savoir qu'à cette époque la demande était forte car le chronographe était de plus en plus utilisé dans les compétitions sportives et dans de nombreuses applications industrielles et militaires.

Les « chronographes de la Vallée » de la fin du 19e siècle et du début du 20e sont assez bien connus, en particulier les pièces exceptionnelles réalisées par exemple par LeCoultre, Audemars Piguet, ou par les petits ateliers tels que ceux de Victorin Piguet ou James Aubert qui travaillaient pour les grandes maisons genevoises comme Vacheron & Constantin ou Patek Philippe.

Il n'y a pas en revanche d'étude ou d'ouvrage disponible sur les « chronographes des Montagnes » fabriqués à la même époque. Cet article va essayer de faire sortir de l'ombre ce type de montre, mais deux réserves s'imposent. Tout d'abord il n'y a pas ici de volonté d'exhaustivité car les sources sont rares et il faut aborder ce type de recherche avec beaucoup d'humilité. D'autre part, la plupart de ces montres ne sont pas signées, ou lorsqu'elles le sont c'est souvent de marques qui ont disparu. Le risque d'erreur n'est donc pas négligeable. C'est de ce fait le type même de travail qui mérite des mises à jour régulières, au fur et à mesure que de nouvelles archives sont découvertes.

Du fait du manque de sources fiables, une classification chronologique précise est très difficile pour les montres fabriquées entre 1870 et 1910. Aussi nous aborderons le sujet des chronographes fabriqués à cette époque en s'intéressant à leur lieu de fabrication. Grâce aux informations que l'on peut trouver dans la presse professionnelle de l'époque, en particulier le Davoine et les revues comme le Journal Suisse d'Horlogerie, La Fédération Horlogère ou la Revue Internationale d'Horlogerie, on constate que, d'ouest en est, on trouve ce type de montres essentiellement au Locle, aux Ponts de Martel, à La Chaux de Fonds, à Neuchâtel, à St Imier et à Bienne.

1. Le Locle

Probablement du fait de ses relations privilégiées avec la Vallée de Joux, et parce qu'il s'y produisait déjà des montres à secondes mortes de grande qualité, Le Locle commença très tôt la production de chronographes. Parmi les horlogers qui en ont produit dès les années 1870 il y a par exemple Huguenin & Grezel, Droz-Jeannot Fils, Jules Huguenin-Droz ou Jules Jürgensen, maison danoise qui fabriquait ses montres au Locle.

Exemple de chronographe simple avec foudroyante, signé Huguenin Droz, première génération de ce genre de montre, fabriqué vers 1870 dans les Montagnes Neuchâteloises. Le mécanisme du chronographe est sous le cadran. Collection du Musée du Château des Monts au Locle.

A partir de 1880 la production de chronographes a augmenté au Locle, et elle est attestée chez les fabricants suivants, dans un ordre a peu près chronologique :

• Barbezat Baillot (Le Phare)
• Guinand Frères
• Jacot-Houriet
• Henchoz Frères (puis Fils)
• Bossert & Jacot (success. Breting)
• César Racine
• Edmond Pellaton-Robert
• Charles-Emile Tissot
• J. Simond
• Angelus
• Zenith
• Favre-Leuba
• Perret & Fils
• Tell Burkhalter

Pour des raisons de proximité géographique, les fabricants des Brenets, qui n'est qu'à 6 kms du Locle, ont été ajoutés à cette liste.

1.1 Barbezat-Baillot (Le Phare)¹

Très beau chronographe avec répétition, vers 1900. Calibre Le Phare.

Publicité de 1920

C'était une des entreprises majeures dans la production de chronographes de poche en Suisse à la fin du 19e et au début du 20e siècle. Ses origines remontent à 1867 avec l'association au Locle de Charles Barbezat-Baillot et d'Henry Guye, sous la dénomination Guye & Barbezat. L'entreprise, située rue de la Côte, produit des montres compliquées telles que chronomètres, chronographes et montres à répétition. Henry Guye meurt en 1877 mais ce n'est que vers 1890 que la raison sociale changera pour C. Barbezat-Baillot. La manufacture s'appelle La Locloise et le succès viendra d'un régulateur silencieux pour montres à répétition breveté en 1890 : il assurera la renommée de Barbezat-Baillot qui vend ses montres sous les marques La Locloise, L'Espéranto, Le Phare, Tempora et Volapük. Vers 1903, l'entreprise devient Manufacture d'Horlogerie Le Phare et poursuit sa production de répétions, chronographes et chronomètres. Après la première guerre mondiale, l'entreprise devient Le Phare, Fabriques d'Horlogerie et des machines Dixi, et la production de chronographes et de montres à répétition se poursuit dans les années 1920.
Les calibres chronographe Le Phare sont nombreux mais ont tous un air de famille. On les reconnaît facilement lorsqu'ils sont associés à un système répétition grâce au régulateur breveté. La production de Le Phare fut considérable et il n'est pas rare également de trouver des calibres Le Phare dans des montres signés par d'autres

1.2 Guinand Frères.

Chronographe à rattrapante, signé Guinand au Locle, vers 1900. Ce calibre ne se retrouve que chez Guinand. Il s'agit peut-être d'un calibre manufacture ou fabriqué en exclusivité pour Guinand.

Cette Maison des Brenets a été créée en 1865 par les frères Alcide et Léon Guinand². En 1875 Léon Guinand poursuit seul l'aventure, jusqu'à sa mort en 1912. C'est alors sa veuve qui reprend l'affaire en collaboration avec ses fils. La société poursuivra son activité jusqu'aux années 1970. La société était spécialisée dans les chronographes et compteurs et avait breveté en 1900 des chronographes baptisés Le Chauffeur, où l'aiguille centrale faisait un tour en 4, 5 ou 6 mn. Guinand ne signait pas toujours ses cadrans et, semble-t-il, ne fabriquait pas ses mouvements. L'identification d'un chronographe Guinand est donc difficile. Toutefois il semble que la marque National Park, à ne pas confondre avec Excelsior Park, soit une marque de Guinand.

1.3 Jacot-Houriet

Publicité de 1890

Société créée par Jules Jacot³ et active de la fin des années 1880 au tout début du 20e siècle. Spécialisée dans les répétitions et chronographes.

1.4 Henchoz Frères

Un des nombreux mouvements originaux de la Maison Henchoz. Chronographe rattrapante avec cadran type régulateur, vers 1890.

L'histoire mouvementée d'Henchoz Frères, puis Henchoz Fils, a été récemment abordée dans Chronometrophilia. Rajoutons simplement que la société était de toute première importance dans le domaine des chronographes avec d'une part des marques spécifiques, comme Ascot, Le Tatttersall ou The Winner, et surtout des calibres manufacture à la construction originale. On peut d'ailleurs retrouver les mouvements Henchoz sous d'autres marques, en particulier chez Guinand.

1.5 Bossert et Jacot

Publicité de 1894

Il s'agit de la société qui succéda à Auguste Breting & Cie, Maison créée en 1835 et déjà spécialisée dans la montre compliquée.

1.6 César Racine

Publicité de 1898

La société César Racine était surtout spécialisée dans les montres répétition et grande sonnerie, mais elle a également produit des chronographes.

1.7 Edmond Pellaton-Robert

Publicité de 1908

Cet autre spécialiste des montres à sonnerie a également fabriqué des chronographes.

1.8 Charles-Emile Tissot

On ne revient pas sur l'histoire de la célèbre société créée en 1873 au Locle par Charles-Félicien Tissot et son fils Charles-Emile. Des chronographes de poche ont été produits par la Maison Tissot à la fin du 19e siècle. Mais les mouvements venaient de la Vallée de Joux.

1.9 J. Simond

Publicité de 1910. Calibre Valjoux.

Fabricant du début du 20e siècle de chronographes sur base Valjoux.

1.10 Angélus

Publicité de 1914

L'histoire d'Angélus a déjà été relatée dans Chronométrophilia. Angélus n'est devenue Manufacture que vers 1904. Auparavant les mouvements venaient probablement de la Vallée de Joux.

1.11 Zénith

Chronographe Zénith, vers 1915, calibre Manufacture.

La célèbre Manufacture, créée par Georges Favre-Jacot en 1865, s'appelait au début George Favre-Jacot et Cie et fabriquait ses montres à l'usine des Billodes au Locle⁴. Le modèle Zénith eut un tel succès qu'il donna finalement son nom à l'entreprise. A la fin du 19e et au début du 20e siècle, Zénith a produit quelques chronographes dont les mouvements provenaient de la Vallée de Joux. En tant que Manufacture, Zénith se devait s'avoir son propre calibre chronographe, et c'est ce qui advint en 1912, un an après que James Favre, neveu du créateur, ait pris la succession de l'entreprise. Ce beau mouvement de 19 lignes n'eut toutefois pas de descendant : lorsqu'il s'agit de lancer des chronographes-bracelets, Zénith s'adressa à Excelsior Park.

1.12 Favre-Leuba

Ce curieux chronographe avec poussoir indépendant, vers 1890, est signé Fidélis, marque déposé par Favre-Leuba et Cie au Locle.

L'histoire de Favre-Leuba est bien sûr associée à Genève et l'entreprise n'est pas connue pour sa production de chronographe de poche. Pourtant la montre de l'illustration suivante, signée Fidélis, est bien une montre chronographe avec un mouvement très particulier. Et la marque Fidélis a été déposée en 1885 par « Favre-Leuba et Cie, Locle ».

1.13 Perret et Fils

Chronographe signé Perret et Fils aux Brenets, vers 1895.

Il y a peu d'informations sur cette Maison installée aux Brenets. Pourtant le chronographe simple signé Perret et Fils de l'illustration suivante est original à plus d'un titre. D'une part il s'agit d'un mouvement unique : nous ne l'avons pas retrouvé dans d'autres montres provenant de La Chaux de Fonds, de St Imier ou de Bienne. D'autre part le mouvement porte un numéro de brevet. C'est un brevet du français Ulysse Cattin de Besançon, déposé en 1893. Il s'agit là d'un rare exemple de collaboration franco-helvétique dans le domaine du chronographe.

1.14 Tell Burkhalter

Illustration du chronographe Tell Burkhalter paru dans le Revue Internationale d'Horlogerie en 1909. Ce chronographe à 3 aiguilles superposées pouvait mesurer le 1/25e de seconde.

Cet horloger des Brenets serait sans doute aujourd'hui totalement inconnu sans un article paru dans la Revue Internationale d'Horlogerie en 1909⁵. Il y est décrit un chronographe de son invention, tout à fait remarquable puisque capable de mesurer le 1/25e de seconde. Pour cela le chronographe dispose de 3 aiguilles centrales. La première décompte les minutes et fait un tour de cadran en 1 heure. La deuxième décompte les secondes et fait un tour en 1 minute. Grâce aux graduations cette aiguille a une précision d'1/5e de seconde. Enfin la troisième fait un tour en 12 secondes. Les mêmes graduations lui donnent donc une précision d'1/25e de seconde. Cette montre fut peut-être une pièce unique.

Remerciements : pour les illustrations, remerciements à Antoine Simonin, Jean-Michel Piguet et Morghan Mootoosami. La plupart des documents d'archives ont été consultés au Musée International d'Horlogerie de La Chaux-de-Fonds grâce à la disponibilité et à l'amabilité de toute l'équipe du centre de recherche dirigée par Ludwig Oechslin, Nicole Bosshart et Jean-Michel Piguet.