Le chronographe-date
Les chronographes avec indication de la date font partie du vaste groupe des chronographes calendrier où l'on peut voir, associés aux fonctions chronographiques, le jour, la date, le mois, les phases de lune, voire des indications plus rares comme l'année ou le numéro de la semaine. Un article, publié dans le numéro de juillet 2008 de la revue suisse Chronométrophilia, et repris sur ce site, fait le point sur l'ensemble de ces chronographes.
Pourquoi donc faire du chronographe-date une famille à part ?
C'est qu'en fait ils ne s'inscrivent pas dans la même tradition. Les fonctions calendaires font partie de l'histoire de l'horlogerie. Les premières montres indiquant le jour, le quantième ou les phases de lune datent déjà du 17ème siècle. Elles correspondent à une tradition de connaissance astronomique du temps qui culmine par exemple avec la série de la trilogie du temps de Ludwig Oeschlin fabriquée par Ulysse Nardin. La date seule a une fonction beaucoup plus triviale. Elle correspond à une nécessité de l'homme du 20ème siècle qui doit organiser son temps de travail, son temps social et de loisir, qui sait qu'il part le 5, rentre le 8, fait un chèque le 3 qui ne sera débité que le 28. Pour ces personnalités actives la date doit pouvoir se lire rapidement, Rolex l'a bien compris avec sa loupe qui la met en valeur sur certaines de ses montres sportives, et ne doit pas s'encombrer d'autres indications qui ne peuvent que nuire à la lecture.
La date a pourtant eu du mal à se singulariser et les premiers chronographes calendrier comme l'Angelus Chronodato ou l'Universal Tricompax comportaient toujours plusieurs fonctions calendaires. Il faudra en fait attendre les années 1960 pour que la date simple devienne courante sur les montres chronographes.
Essayons donc d'en retracer l'histoire, des années 1940 aux années 2000.
Une précision s'impose concernant les dates : nous prendrons comme convention qu'un modèle existe, au sens historique du terme, lorsqu'il est rendu public c'est-à-dire lorsqu'on peut trouver sa trace dans un document diffusé à l'extérieur de l'entreprise qui l'a créé et accessible en principe à tous. C'est le cas d'un article dans une revue, une publicité dans un magazine ou une documentation technique à l'usage des clients des entreprises. Cela ne veut pas dire que le modèle en question n'a pas existé avant. Son existence est même à peu près certaine puisqu'il a bien fallu le mettre au point, voire le tester en conditions réelles. Mais il n'était pas dans le domaine public ou au minimum sous la forme d'une information accessible aux gens du métier. Cette précision est importante car la notion de "première" est critique pour les marques horlogères et la tentation est grande pour certaines, sous la pression du marketing, de réécrire l'histoire. A l'inverse certaines annonces officielles ne sont pas immédiatement suivies de la disponibilité du modèle. Lorsque ce fait est avéré il sera donc mentionné.
Dernier point important, il ne sera traité ici que des montres mécaniques. Même si certaines montres à quartz, ou méca-quartz, ne manquent pas d'intérêt, elles touchent en fait l'histoire de l'électronique et nécessiteraient d'autres compétences aussi bien historiques que techniques.
1. Avant 1960
La date seule a existé sur les chronographes de poche : une rare version, double face, a l'heure et la date par aiguille sur une face et les fonctions chronographiques sur l'autre face. Mais c'est une exception au milieu des chronographes de poche calendrier qui en règle générale disposaient également du jour, du mois, voire de fonctions calendaires plus complexes comme les phases de lune ou un calendrier perpétuel.
Il semble que le tout premier chronographe-bracelet avec date ait été réalisé par Longines, au milieu des années 1930. Le cadran de cette montre est visible sur la page d'accueil du site http://www.farfo.com mais le Musée Longines, contacté à plusieurs reprises, n'a pas infirmé ou confirmé s'il s'agissait d'une montre effectivement fabriquée à St Imier.
Le premier chronographe date dont on puisse affirmer l'existence est de ce fait le Dato-Compax d'Universal. A partir de 1930, sous l'impulsion de Raoul Perret, également administrateur de Zénith et président du conseil d'administration de la Martel Watch aux Ponts-de-Martel où sont fabriqués les calibres chronographes, Universal va jouer un rôle prépondérant dans le domaine du chronographe. En 1932 sort ainsi le modèle Compur, en 1938 le Compax avec compteur d'heures et en 1940 l'Aero-Compax. Vers 1942 apparaît le Dato-Compax, chronographe assez rare comprenant la date par une aiguille dans un petit cadran indépendant à midi. Les mouvements utilisés, comme le calibre Universal 287, portaient parfois l'extension DX.

Universal Dato-Compax c.1942

Calibre Universal 287
Ce modèle précurseur fut en fait éclipsé chez Universal par le succès du Tricompax de 1943.
Ce n'est qu'à partir de 1948 qu'on verra apparaître à nouveau des chronographes avec date simple. Mais ils restèrent peu nombreux. Au moment du pic de création de mouvements chronographes calendrier chez Ebauches SA, 20 calibres différents entre 1948 et 1950, seuls 3 d'entre eux, les Vénus 183, 186 et 189 ne comportaient que la date, sous la forme d'une aiguille dans un petit cadran à midi.
On a produit dans les années 1950 de rares chronographes avec date par aiguille dans un petit cadran à 6h et calibre Landeron. Il s'agit en fait probablement de calibres comportant d'autres fonctions calendaires mais non utilisées.
Ces chronographes restèrent relativement confidentiels. Il faut dire que la lecture de la date sur un petit cadran annexe n'est pas franchement facile alors que la date par guichet, si pratique, existait depuis un moment sur les montres non chronographes comme par exemple la Mimo Mètre de 1931 ou la Rolex Datejust de 1945, montre emblématique mais qui, contrairement à l'histoire officielle, n'est pas la première montre à afficher la date dans un guichet.
Les premiers chronographes avec date simple par guichet datent de 1953. Ils sont liés à la mise à disposition par Ebauches SA du calibre Vénus 211, sans roue à colonne, avec un double guichet à 6h. Il est d'ailleurs surprenant de constater que ces chronographes, dont le mouvement rustique n'en faisait pas des montres luxueuses, comportaient une "grande date" si prisée de nos jours et considérée comme une complication qui a son prix...
Mais là encore ce mouvement eut une diffusion assez confidentielle, probablement liée au désintérêt du public pour le chronographe à la fin des années 1950.

Chronographe grande date c.1953

Calibre Vénus 211
Quel fut donc le premier chronographe avec date par guichet simple ?
On le doit à une entreprise un peu atypique dans le domaine du chronographe : Eberhard.

Eberhard Contodat, premier chronographe avec date par guichet simple

Calibre Eberhard 310/82
Eberhard a été créée en 1887 à La Chaux-de-Fonds par Georges-Emile Eberhard. En 1919 ses fils George et Maurice prennent la suite et la même année sort le premier chronographe bracelet de la marque. Eberhard ne fabrique pas ses ébauches mais se fournit auprès des spécialistes en la matière selon un cahier des charges bien précis. Ainsi c'est à Dépraz et Cie qu'Eberhard demande en 1950 de fabriquer l'un des plus beaux mouvement chronographe du 20ème siècle, le calibre Eberhard 310/8. C'est un mouvement de 14 lignes avec roue à colonne, dont toutes les pièces sont anglées, et qui équipera le modèle Eberhard Extra-Fort qui existait déjà dans la gamme Eberhard depuis quelques années. Et en 1957 ce mouvement sera équipé de la date sous la forme d'un guichet à 6h, sous l'appellation 310/82. Ce mouvement sera utilisé plus tard, vers 1969, par Doxa pour un modèle chronographe de plongée, le Sub 200 T-graph, lorsque les deux entreprises auront rejoint la holding CHP (Communauté d'Horlogerie de Précision).
C'est aussi à la fin des années 1950 que la date par guichet va apparaître sur les "faux chronos" à ancre à goupille et arrêt au balancier, montres équipées en général d'un calibre Lapanouse.
2- 1960 – 1980 : la date se généralise
A l'initiative de la Fédération Horlogère Suisse, entre 1962 et 1966 eut lieu une vaste campagne de promotion du chronographe dans la plupart des pays européens, relayée par les fabricants qui lancèrent à ce moment de nouveaux modèles. Le résultat fut à la hauteur des espérances : l'exportation de chronographes suisses en Europe passa de 52 000 unités en 1964 à plus de 173 000 en 1969.
Deux des calibres chronographes créés à cette époque comportaient une date simple.
Le premier, sorti en 1963, est le Landeron 187 et sa variante 189. C'est un mouvement sans roue à colonne que l'on le retrouve dans de nombreux modèles. Sur ce mouvement, la date, par guichet unique, peut être disposé à volonté à midi, à 6h et même, fait nouveau à l'époque, à 3h, ou même à 9h. Il équipera par exemple un très beau modèle Carrera d'Heuer qui n'est donc pas, contrairement à l'histoire officielle, le premier chronographe avec date par guichet. Le Carrera est caractéristique, avec le Breitling Top Time, d'une nouvelle tendance qui apparaît à la fin des années 1960 : pour attirer une clientèle plus jeune, chaque modèle de chronographe est proposé dans une multitude de variantes de forme et de cadran permettant de personnaliser son achat, voire de le multiplier. Il existe ainsi un Carrera 30, un 45, un 12, un Carrera Tachy et donc, vers 1965, un Carrera date.

Heuer Carrera date c.1965

Calibre Landeron 189
Le deuxième a été proposé par Omega en 1969. Il s'agit du calibre 930 avec date par guichet à 9h, dérivé du calibre 860 sorti un an auparavant. Il a équipé de très élégants chronographes Omega De Ville et a également été utilisé par Bucherer. Seuls 10 000 de ces mouvement auraient été fabriqués.

Chronographe Omega De Ville c.1969

Calibre Omega 930
La fin des années 1960 voit également la prolifération des montres bon marché à ancre à goupille. La société d'ébauches Bettlach SA, qui fait partie du groupe Ebauches SA, a par exemple lancé en 1964 toute une gamme de nouveaux calibres, la famille 8800 de 12 lignes. En 1969 une version chronographe est présentée, dont une variante, le calibre 8806, dispose d'un quantième à guichet. En 1972 un autre mouvement chronographe Bettlach, calibre 8429, aura également la date par guichet. Il sera en particulier utilisé dans le modèle Jacky Ickx d'Heuer.
Mais ce qui fait sensation en 1969 c'est l'arrivée des premiers chronographes automatiques. Et tous les modèles présentés alors auront la date dans un guichet.
Deux concurrents se sont disputés l'honneur d'arriver le premier sur la scène horlogère : le Chrono-Matic et le El Primero.
Le Chrono-Matic, qui a été développé par Dépraz et Cie et Büren, était réservé par contrat à Heuer-Léonidas, Breitling et Hamilton qui avait racheté Büren en 1966. Il a été fabriqué dès 1968 mais sa présentation au public s'est faite le 3 mars 1969, soit quelques semaines après la présentation au public du El Primero de Zénith-Movado qui a eu lieu le 10 janvier 1969. Il est probable toutefois que le modèle Zénith présenté en janvier ne soit qu'un prototype : le cadran et les aiguilles étaient différents de ceux des modèles présentés à la Foire de Bâle le 12 avril de la même année par Zénith ou Movado et le nom El Primero n'apparaissait pas sur le cadran.

Zénith El Primero c.1970

Calibre Zénith 3019 PHC
Le El Primero, qui signifie "le premier" en espéranto, est un mouvement automatique intégré à haute fréquence, 36000 alt/h, et il dispose d'une roue à colonne et d'un rotor central. Il a été baptisé calibre 3019 PHC et a été développé grâce aux compétences de Zénith, Movado mais aussi Martel Watch, qui fabriquait les calibres Universal et qui avait été rachetée par Zénith en 1960. Le guichet pour la date des modèles Zénith est à 4h30, signe distinctif pour ce mouvement, et à midi pour les modèles Movado.

Version phase de lune du El Primero, modèle Academy c.1987
Le Chrono-Matic lui, a d'abord été proposé sous la forme du calibre 11, avec une fréquence de 19800 alt/h, la date par guichet à 6h et pas de petite seconde permanente. Il sera rapidement suivi du calibre 12 dont la fréquence est de 21600 alt/h et du calibre 14 avec indication 24h. En 1971 sortira le calibre 15 qui lui dispose d'une petite seconde permanente.

Première version du Chrono-Matic, sans petite seconde permanente, c.1969

Chrono-Matic calibre 11
Mais de nombreux ennuis vont surgir pour le Chrono-Matic : Hamilton-Büren cesse toute activité en 1972 et la production est interrompue. Les mouvements restant seront proposés à diverses sociétés comme Kelek, Zodiac, Jaquet-Girard, Herma ou Bulova.
Il existe deux versions non automatiques du Chrono-Matic : les Valjoux 7740 et 7741, que l'on trouve sur de rares chronographes d'Heuer et Breitling. Ces versions ont également la date par guichet.
Après le Chrono-Matic et El primero, plusieurs calibres chronographe automatiques vont être lancés, la plupart d'entre eux avec la date par guichet.
Chez Omega tout d'abord. Le premier chronographe automatique Omega est équipé du calibre à rotor 1040 de 31,00 mm de diamètre conçu chez Lémania en 1970 par Raoul Henri Erard et Marius Meylan Piguet. Il comprend un compteur de minutes central, un quantième par guichet à 3h, un indicateur 24 heures à 9h et un compteur 12 heures à 6h. Il équipera en 1972 le Speedmaster Professional Mark III et un chronographe Seamaster Automatic. En 1973 on le retrouvera dans le Speedmaster Professional Mark IV mais également, sans l'aiguille indiquant les 24 heures, dans un modèle d'Enicar, le Grapho-Matic. Une version simplifiée de ce mouvement, sans indication 24 heures, sera produite par Lémania à partir de 1972 sous les noms des calibres 1340 et 1341, et équipera de nombreux chronographe de marque Lémania, Tissot, BWC, Wakmann, Royce et même Sinn en Allemagne.

Chronographe Omega Seamaster c.1972

Calibre Omega 1040

Chronographe Tissot Navigator c.1972

Calibre Lémania 1340
En 1973 c'est une marque quasi inconnue qui lance un chronographe automatique avec date : Tenor & Dorly.
Quatre entreprises s'étaient en fait associées pour réaliser cette nouveauté: Brac, Dubois Dépraz, Kelek et Tenor & Dorly. Brac SA à Breitenbach était un fabricant d'ébauches économiques, ancre et Roskopf, dont les origines remontent à 1904. Avec Tenor & Dorly, jeune société créée dans les années 1960 à Tramelan, Brac avait conçu un mouvement automatique à quantième de 26 mm de diamètre (11,5 lignes), le calibre Brac 1300 dont une version existait avec affichage digital. Sur la base de ce calibre mandat est donné à Dubois Dépraz, désormais spécialiste incontesté des mouvements modulaires, de concevoir un module chronographe, à roue à colonnes et avec compteur de minutes, qui sera logé entre le mouvement et le rotor central, en faisant ainsi le plus petit chronographe automatique de l'époque. Le remontage et la terminaison des chronographes sont assurés par Kelek SA à la Chaux-de-Fonds. Kelek a été créé en 1960 mais ses origines remontent à 1896 avec l'établissement d'Ernest Gorgerat à la Chaux-de-Fonds. Kelek s'était spécialisé dans le chronographe, sur base Ebauches SA, et avec l'arrivée dans l'entreprise de Gabriel Feuvrier en 1968, une collaboration étroite s'était instaurée avec Dubois Dépraz. Enfin, la commercialisation du nouveau chronographe devait être assurée par Kelek et Tenor & Dorly.

Chronographe Sevan à affichage digital des heures et minutes, calibre TDBK 1376, c.1973
Deux versions de ce chronographe sont en fait lancées en 1973. La première, munie du calibre TDBK (initiales des quatre sociétés) 1376, comporte l'affichage digital des heures et minutes, un compteur 60 minutes est la date par guichet à 6h. Le deuxième, calibre TDBK 1369 a un affichage classique avec un compteur 30 minutes à 3h, un compteur 6 heures à 11h et la date par guichet à 9h.
Tout comme pour le Chrono-matic, la commercialisation des calibres TDBK sera en fait rapidement étendue à d'autres sociétés et on les retrouvera également sous les marques Précimax, Minerva, Nivada, Whaltam, Oriosa, Plymouth, Kraiko,Tell ou Sevan.
Malgré son prix intéressant le plus petit chronographe automatique pâtira des difficultés financières et des problèmes qualités rencontrés par la Maison Brac. Sa fabrication sera alors interrompue après seulement 23 000 calibres produits.
1973 est aussi l'année de l'un des plus remarquable mouvement chronographe automatique suisse : le Valjoux 7750. Ce mouvement comporte à la fois le jour et la date par guichet. Toutefois en 1977 Valjoux SA proposa deux nouveaux calibres sur la base du 7750 : le 7755 qui n'a pas l'indication du jour et le 7765, version non automatique du 7755.
Ebauches SA proposa également au début des années 1970 des mouvements chronographes non automatiques : il s'agit des Valjoux 7733, 7734 et 7736, dérivés du Valjoux 7730 lui-même anciennement Vénus 188. Le 7734 avait un quantième à guichet avec remise à date rapide. Ces mouvements ont été fabriqués en grande série et ont été utilisés par de très nombreuses marques comme Breitling, BWC, Tissot, Heuer, Mondia et également des marques non suisses comme Lip et Roch en France ou Junghans et Kienzle en Allemagne. En 1975 l'outillage nécessaire à la fabrication de ces mouvements fut acheté par l'Union Soviétique et on retrouvera ces calibres sous la marque Poljot qui les fabrique toujours aujourd'hui.

Chronographe Atlantic, modèle Timeroy UT avec heures du monde, c.197

Calibre Valjoux 7734
C'est aussi vers 1971 qu'apparut le dernier mouvement Valjoux avec roue à colonnes : le calibre 234 et sa variante 237 avec retour en vol. C'est un beau mouvement, classique, qui comporte une date par guichet à 6 ou 12h. Sa production fut relativement limitée.

Chronographe Mathey-Tissot avec date par guichet à midi, c.1971

Calibre Valjoux 234, dernier calibre Valjoux avec roue à colonnes
3- De 1980 à 2000 : de la pénurie à l'abondance
Au début des années 1980 les calibres chronographe mécaniques ont pratiquement tous disparu. L'horlogerie suisse est en crise et la récession se poursuit jusqu'en 1983. ETA a drastiquement réduit la gamme héritée d'Ebauches SA et seules subsistent les familles du 7733 et du 7750 ; chez Zénith dorment encore quelques El Primero ; chez Omega quelques chronographes font de la résistance… Ce sont pourtant ces mouvements qui vont assurer la relance.
Le Zénith El Primero, doit à Ebel sa renaissance. En 1981 Pierre Alain Blum, qui dirige depuis 1970 l'entreprise créée par ses grands-parents en 1911, recherche un mouvement mécanique pour lancer une gamme de beaux chronographes. Il s'adresse à Zénith, redevenu suisse en 1978, qui ne produit plus le calibre El Primero mais qui possède encore de nombreux mouvements. Le chronographe Ebel sera présenté à la Foire de Bâle en 1982 et aura un tel succès que Zénith décidera de reprendre la production du El Primero pour le sortir sous son propre nom en 1985.

Publicité de 1983 pour le chronographe Ebel muni du calibre El Primero
Comme la demande pour le chronographe augmente progressivement, de nouveaux mouvements vont faire leur apparition. Le premier viendra de l'entreprise qui a accompagné l'évolution du mouvement chronographe tout au long du XXe siècle, Dubois Dépraz, et ce mouvement, calibre 2000, marquera un tournant dans cette évolution.
Le calibre 2000 est un module chronographes conçu au départ pour être placé sur un module automatique ETA 2892, solide mouvement qui servira de moteur à des millions de montres, ou sur un module à quartz ESA 555111. Un accord de commercialisation est trouvé avec Nouvelle Lémania qui a été rachetée en 1981 par un groupe suisse comprenant Piaget, lequel groupe a racheté également Heuer-Léonidas en 1982. Et c'est sous la marque Heuer que seront présentés en 1983 les premières versions quartz du calibre 2000 qui devient par le fait le premier chronographe analogique suisse à quartz. Les versions automatiques sortiront l'année suivante, mais en 1985 Heuer est racheté par le groupe TAG et Nouvelle Lémania proposera alors le calibre à d'autres entreprises. Enfin, en 1992 Nouvelle Lémania est rachetée par le groupe saoudien Investcorp et Dubois Dépraz reprendra tous les droits de commercialisation du mouvement.

Publicité de 1985 pour le chronographe Heuer Titanium muni du calibre 2000. L'année d'après la marque Heuer disparaîtra au profit de Tag-Heuer
Le calibre 2000 a un aspect classique avec trois compteurs, petite seconde à midi, compteur 12h à 6h, compteur 30 minutes à 3h, et la date par guichet à 3h. Le guichet de la date comporte une loupe car le disque de la date est situé en profondeur, sous le module chronographe.
Le calibre 2000 sera utilisé à partir de 1987 par Audemars Piguet, à partir de 1988 par Girard-Perregaux pour le chronographe GP 7000 et GP 4900 Olimpico, et à partir de 1989 par Chopard et Vacheron et Constantin sur mouvement automatique Jaeger-LeCoultre.
En 1988 Frédéric Piguet, qui depuis 1982 vole de ses propres ailes avec Blancpain, va proposer un calibre chronographe remarquable.
Ce calibre série 1180-1185 réussit une première : c'est le plus petit et le plus plat calibre chronographe jamais construit. Pour un diamètre de 11,5 lignes (25,60 mm) il ne fait que 3,95 mm de hauteur en versions manuelle et 5,35 mm en version automatique. Ce calibre est également d'emblée conçu pour être évolutif : un mécanisme de rattrapante est déjà prévu, le quantième est intégré dans la platine, le mécanisme de remontage automatique, qui remonte dans un seul sens, est modulaire et se fixe par trois vis, et une plaque de quantième perpétuel est prévue pour s'adapter sur le mouvement.

Publicité de 1988 pour le chronographe rattrapante Blancpain muni du calibre Piguet 1180-1185
C'est d'ailleurs dans sa version automatique avec rattrapante et date par guichet à 6 h, le mouvement ayant alors une épaisseur de 6,75 mm, que Blancpain proposera le mouvement en 1988, cette association de fonctions étant alors réalisée pour la première fois. Dans sa version sans rattrapante, calibre 1185 avec date par guichet à 4h30 ou 6h, ce calibre sera ensuite utilisé par de nombreux fabricants comme Blancpain, Chopard ou Hublot.
A partir des années 1990, l'horlogerie suisse va connaître une ascension impressionnante, portée en particulier par les montres mécaniques qui, en valeur, vont très vite dépasser les montres à quartz. La demande est forte en Europe, aux Etats-Unis, à Hong-Kong, et l'augmentation du pouvoir d'achat d'une nouvelle classe aisée dans les pays émergents comme la Russie, la Chine ou l'Inde créé de nouveaux marchés pour la montre suisse considérée aussi comme symbole de réussite sociale.
Comme de surcroit les chiffres d'affaires générées par les marques horlogères les plus connues ne sont plus tout à fait négligeables de nouveaux acteurs, en particulier du monde du luxe, vont s'impliquer dans l'horlogerie et appliquer des modèles comme les acquisitions multiples, la politique de marque, les déclinaisons de produits, les séries limitées, le star system, encore peu connus dans l'horlogerie traditionnelle.
Le résultat est une profusion de modèles qui toutefois n'arrive pas à satisfaire la demande et ce d'autant que les capacités de production en Suisse sont limitées, faute d'usines et de main d'œuvre qualifiée.
Un autre phénomène, classique en période d'euphorie, se produit : la création de multiples nouvelles entreprises, soit pilotées par des investisseurs, on tâche alors de ressusciter un nom d'horloger célèbre pour récupérer une histoire à bon compte, soit sous le nom d'un horloger talentueux qui fort de son expérience dans les grandes Maisons, décide de voler de ses propres ailes.
Que devient dans ce contexte le chronographe date ? Comme le chronographe reste une valeur sûre la création de modèles ne faiblit pas. Mais comme il faut se différencier c'est plutôt par l'addition de nombreuses complications, rattrapante, tourbillon, calendrier perpétuel, que les fabricants tentent de capter un consommateur de plus en plus averti.
Il y aura toutefois un certain nombre de nouveaux chronographes date qui vont se démarquer du classique Valjoux 7750.
Ainsi en 1993 une modification importante est apportée à la lignée des calibres Dubois Dépraz 2000 : la date avec sa loupe étant jugée inesthétique, elle est ramenée sous le cadran, sans loupe, sous la forme du calibre 2021 utilisé par exemple par Breitling, Girard-Perregaux et Hublot.
Toujours chez Dubois Dépraz, Le petit calibre 10000, de 11,5 lignes, est réservé à Kelek et Breitling. Il sera modifié en 1995 sous la forme du calibre 20000 avec date sans loupe à 4h30.
En 1997, ETA présente son premier chronographe modulaire. ETA dispose en effet de solides mouvements automatiques tels que le 2892 de 11,5 lignes (25,6 mm) ou le 2894 de 12,5 lignes (28,0 mm) parfaitement aptes à recevoir des plateaux chronographe. Un accord est trouvé avec Dubois Dépraz, qui a breveté le principe du module chronographe engrenant sur l'axe central, et dès qu'il est proposé aux fabricants le succès du mouvement est immédiat.
La disposition des compteurs, très équilibrée en triangle inférieur, permet en effet de le différencier du classique Valjoux 7750 et ce en conservant la date par guichet, logées à 4h30 comme sur El Primero. Dès sa sortie il sera utilisé par Eterna, Hublot, Epos et dans les années suivantes par de très nombreuses entreprises.
Après que Lange & Sohne ait remis les grandes dates au goût du jour, Dubois Dépraz proposera en 1998 le calibre chronographe 4500 avec grande date à 12h. Ce mouvements sera utilisé par Breitling, Paul Picot, Philippe Dubois, Nivrel et d'autres.
Enfin en 2000 François-Paul Journe présentera son premier chronographe, l'Octa Chronographe, avec un mouvement Manufacture de 38 mm de diamètre et un cadran régulateur agrémenté d'une grande date par guichet.
Ce sera le dernier calibre chronographe date du deuxième millénaire. Avant tous ceux qui vont apparaître dans le troisième...
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