ANGELUS



Les chronographes Angélus

"Angelus Domini nuntiavit Mariæ" (dans la lithurgie chrétienne, prière récitée trois fois par jour au son d'une cloche)

"Cependant que la cloche éveille sa voix claire à l’air pur et limpide et profond du matin Et passe sur l’enfant qui jette pour lui plaire Un angelus parmi la lavande et le thym" Stéphane Mallarmé

Angélus fait partie des entreprises qui ont donné au chronographe de poignet ses lettres de noblesse dans les années 1940, au même titre que Breitling, Heuer, Universal ou Léonidas.
Comme Universal, Angélus était une Manufacture et fabriquait donc ses propres ébauches, ce qui a sans doute favorisé l'apparition de modèles innovants qui se différenciaient des chronographes basés sur les mouvements Vénus, Landeron ou Valjoux d'Ebauches SA.
La société Angélus n'existe plus : c'est ce qui explique peut-être que les chronographes Angélus soient en fait peu connus bien que leur qualité et leur originalité dépassent de loin bon nombre de chronographes pourtant très recherchés.

La Maison des frères Stolz, au Locle.

C'est au Locle, haut lieu de la chronométrie, que les frères Albert et Gustave Stolz, horlogers émérites et élèves d'Henri Sandoz qui dirigea la Maison Tavannes, créent la fabrique d'horlogerie Angélus en 1891. Les débuts sont modestes, dans une chambre de la rue du Marais qui deviendra plus tard rue du Jardin. Les ébauches et les mécanismes étaient achetés, sertissages et plantages d'échappement étaient confiés à de petits ateliers et la Maison se chargeait de la terminaison. Les montres étaient ensuite confiées à des Maisons spécialisées dans l'exportation et partaient vers l'Allemagne, la Russie ou l'Italie.
En 1898, le troisième frère, Charles Stolz, ayant terminé son apprentissage d'horloger, fait son entrée dans l'association.




Les frères Stolz en 1941

Le succès aidant, la petite entreprise recrute pour atteindre une quinzaine d'ouvriers et de plus en plus de travaux sont réalisés sur place, de sorte qu'en 1904 les frères Stolz prirent la décision de fabriquer leurs propres ébauches et de bâtir leur propre Fabrique.
Angélus va alors se spécialiser dans la fabrication de la montre à complications, en particulier répétition et chronographes, dont la bienfacture est couronnée par des prix dans les grandes Expositions comme à Liège en 1905, à Milan en 1906 ou à Berne en 1914.


La première guerre mondiale est un frein à l'évolution de la société, ce qui ne l'empêchera pas de créer une montre à répétition pour aveugle qui sera offertes à certaines "gueules cassées" ce qui vaudra aux frères Stolz une lettre de remerciement du Maréchal Joffre.
Mais c'est aussi à cette époque que se généralisent les matières luminescentes à base de radium qui signeront la fin des montres à répétition, l'un des fleurons de la production d'Angélus. La Maison doit alors se diversifier et dès 1920 apparaissent des montres réveil et des pendulettes à réveil ou à répétition.
Cela permettra à l'entreprise de surmonter la crise du début des années 1930.




Le site de production au Locle en 1947

Les chronographes Angélus

Les premiers chronographes-bracelets Angélus apparaissent en 1925. Il s'agit de monopoussoirs par la couronne et les mouvements, de belle facture, sont des 13 ou 14 lignes (29,30 et 31,60 mm).
Dès 1935 Angélus fabrique des chronographes à double poussoir, principalement sur la base de calibres maisons de 13 et 15 lignes avec compteur 30 ou 45 minutes. Les premiers chronographes-bracelets double poussoirs sont apparus chez Breitling en 1933 mais ne se sont généralisés qu'à partir de 1935, en particulier chez Universal et Angélus.
En 1935 Charles Stolz quitte la société pour prendre la direction de la Fabrique d'aiguilles de machines à tricoter de Peseux et en 1941, pour le cinquantenaire de l'entreprise, Angélus déménage dans une superbe usine, rue Piaget. L'entreprise emploie près de 90 personnes.
C'est André Stolz, fils d'Albert, qui prend alors les rennes de l'entreprise.

L'outil de fabrication est rénové, les capacités de production sont augmentées et Angélus va alors connaître une remarquable réussite grâce à une double spécialisation : le chronographe-bracelet et les pendulettes à complications. La qualité de fabrication était même reconnue par les militaires puisque le calibre 240 de 14 lignes, destiné à un réveil de voyage avec huit jours de réserve de marche, a équipé certaines montres Panerai destinées à la Marine Italienne.




1938

Ce qui caractérise les chronographes-bracelets de la deuxième moitié des années 1930 c'est la grande variété de forme des boîtes et des anses. A ce moment la palme de la créativité revient probablement à Breitling mais Angélus étoffera le nombre de ses modèles à la fin des années 1930 et conservera jusqu'au début des années 1950 une gamme extrêmement variée de modèles du fait des combinaisons de cadrans, de diamètre, de couleur, de formes d'anses, etc.





1941

Un exemple simple est la version avec tachymètre base 100 mètres, mieux adaptée aux mesures des performances des athlètes qu'une base 1000, qui sort en 1940. Mais Angélus va surtout innover là où ses concurrents tels que Breitling, Léonidas ou Heuer sont limités par leur dépendance à Ebauches SA : la création de nouveaux mouvements.




Il semble que les tout premiers Chronodato de 1942 portaient le nom Chronodate




Deux exemples de Chronodato, modèle 563, calibre 217 en finition standard et soignée


En 1942 Angélus fait en effet sensation en sortant le premier chronographe avec calendrier fabriqué en série. Baptisé d'abord Chronodate puis Chronodato à partir de 1943, ce remarquable chronographe est équipé du calibre 217 de 14 lignes (32,80 mm), dérivé du 215 sorti la même année, 17 ou 19 rubis et compteur 45 minutes. La date est donnée par une aiguille à la périphérie du cadran, jour et mois sont dans des guichets, respectivement à 6h et midi. Si l'on excepte de rares modèles avec calendrier fabriqués par Patek Philippe en 1937, et calendrier perpétuel en 1941, c'était la première fois que la date apparaissait sur un chronographe-bracelet de fabrication soignée mais courante. Audemars Piguet produira quelques modèles en 1942, de même qu'Universal avec le rare Dato-Compax, mais il faudra attendre 1943 pour voir les plus importants fabricants de chronographes réagir avec le Tricompax d'Universal, suivi en 1944 de l'ensemble des établisseurs tels que Arsa, Breitling, Léonidas, Doxa, etc., du fait de la mise à disposition par Ebauches SA des premiers calibres chronographe-calendrier Valjoux, Vénus et Landeron.




modèle 500, équipé du calibre 215, ici en finition soignée

Le calibre 215 a équipé le modèle 500, chronographe simple avec compteur 45 minutes qui était disponibles avec 9 formes d'anses différentes et de multiples versions de cadrans, et le modèle 533, étanche avec poussoirs ronds.
Le calibre 217 a donc équipé le Chronodato, ou modèle 563, qui avait 5 formes d'anses et qui existait en acier, en plaqué, en or 18 carats avec 3 épaisseurs différentes et différents modèles de cadrans, les plus luxueux avec les heures en appliques or.




1946

En 1945 Angélus déplore le décès d'Albert Stolz, alors âgé de 76 ans, l'un des créateurs de l'entreprise.
En 1948 apparaît un nouveau mouvement chronographe de 12 lignes (27,00 mm), le calibre 250 avec compteur 30 minutes. Il permettra le lancement la même année du chef-d'œuvre d'Angélus : le Chrono-Datoluxe, premier chronographe avec date par guichet, disposant également de l'indication du jour et des phases de la lune. Sur le mouvement, calibre 252, on remarque que les deux chiffres de la date sont en fait portés sur deux disques distincts, coaxiaux.




Différents modèles de Chrono-datoluxe et Chrono 12. Catalogue de 1951.

Le Chrono-datoluxe a existé en deux diamètres de boîtes : 33 (modèle 582) et 35 mm (modèle 585) et 3 formes d'anses différentes. Les boîtes pouvait être en acier, dont un modèle étanche, en plaqué, en or 14 et 18 carats avec là aussi des épaisseurs différentes, 13, 14 ou 15 g.
La version sans calendrier équipée du calibre 250 s'appelait Chrono 12. Elle a existé en trois diamètres de boîtes : 31 (modèle 583), 33 (modèle 594) et 35 mm (modèle 588). Les boîtes étaient produites dans les mêmes matériaux que le Chrono-datoluxe mais seul le modèle 594 existait en or et en acier étanche.
Sur la base du calendrier développé pour le Chrono-Datoluxe, Angélus a également fabriqué de très belles montres calendrier non chronographe avec phases de lune (Datoluxe) ou sans (Dato 12).

Diversification

Angélus aura du mal à résister à la désaffection du chronographe qui s'est banalisé et qui souffre de la concurrence de la montre automatique à la fin des années 1950. L'entreprise abandonnera même son droit d'ébauches à Ebauches SA qui ne l'exploitera pas.
La fabrication de montres sur base Ebauches SA se poursuivra avec quelques modèles intéressants comme la Datalarm de 1956, première montre réveil avec date, sur base A. Schild et surtout, vers 1960, l'ultime chronographe d'Angélus : il s'agissait d'un modèle pour médecins, sans compteur avec un seul poussoir et des échelles pulsométrique et sphygmométrique en périphérie. Assez proche du modèle Sfygmos de Doxa, sorti lui en 1958, il disposait également d'un verre spécial muni d'une loupe en périphérie, entre 12h et 3h pour mieux visualiser les parties les plus utilisées des échelles imprimées sur le cadran.
Par deux fois Angélus tentera de produire une montre-bracelet à répétition : en 1958 un petit nombre d'exemplaires est fabriqué sur une base AS 1580 et en 1976 deuxième tentative avec l'aide de Dubois-Dépraz et Kélek. Mais aucune de ces montres ne sera fabriquée en série et c'est en fait surtout la production de belles pendulettes et de réveils de voyage qui permit à Angélus de continuer son existence jusqu'aux années 1970. Mais pas de résister à l'arrivée des montres à quartz et à la grande crise qui secoua alors l'industrie horlogère suisse.

(Annexe 1) Tableau 1. Principaux modèles de chronographes Angélus.
(Annexe 2) Tableau 2. Les mouvements chronographes Angélus.
(Annexe 3) Tableau 3. Différents types d'anses.



Sources

- Fabrique d'Horlogerie Angélus. 1891-1941
Plaquette éditée à l'occasion du 50ème anniversaire de l'entreprise, 1943.
- Catalogue général des Pendulettes et Chronographes Angélus
Edition 1947 et mise à jour 1951.
- La Classification Horlogère par A-F Jobin, éditions 1936, 1939 et 1949.
- Revue Internationale de l'Horlogerie, 1912 à 1956
- Journal Suisse d'Horlogerie, 1937 à 1946
- Gisbert L. Brunner, Armbandhuren, Wilhem Heyne Verlag, 1990